LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

Rainer rochlitz

Dissertation : Rainer rochlitz. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  13 Janvier 2022  •  Dissertation  •  3 493 Mots (14 Pages)  •  240 Vues

Page 1 sur 14

        « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l'air, un livre qui n'aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible » écrit Gustave Flaubert le 16 janvier 1852 dans sa correspondance avec Louis Colet. L'écrivain décrit ici son projet d'écrire un livre autotélique, qui se suffirait à lui-même en se focalisant sur le travail de la forme littéraire et non sur le « sujet », sur le fond. Il pense que cette idée est réalisable et qu'elle lui semble même « belle ».

        Pourtant, Rainer Rochlitz écrit en 1998 dans L'art au banc d'essai : « Il faut qu'une œuvre d'art ait un enjeu qui en vaille la peine et qui focalise l'intérêt, sans quoi la cohérence d'une forme géométrique proprement tracée, d'un alignement de phrases grammaticalement irréprochables suffirait à fonder la valeur de l'art ». Par cette formule et cette métaphore de la figure géométrique, le philosophe allemand affirme qu'une œuvre doit forcément être porteuse d'un « enjeu », d'une visée et que le travail de la forme n'est pas suffisant pour déterminer sa valeur. C'est le sujet, le fond de l'oeuvre qui importe le plus. C'est aussi lui qui attire, qui « focalise » l'intérêt du public. Il est alors légitime de s'interroger sur ce qui fait la valeur d'une œuvre dans la littérature et de savoir si c'est le travail du fond qui doit primer ou bien si la forme, le travail esthétique autour de l'oeuvre peut suffire à déterminer sa qualité, comme l'imaginait Flaubert.

        Certes, une œuvre littéraire est généralement porteuse d'enjeux qui « focalisent » l'intérêt du lecteur et il semble difficile de concevoir une littérature qui ne porterait sur aucun sujet. Pourtant, l'importance de la forme ne doit pas être négligée et on peut aussi considérer qu'elle contribue à fonder la « valeur de l'art ». Finalement, le fond et la forme d'un travail littéraire semblent plutôt se compléter, et déterminer ensemble la qualité d'une œuvre.

*

*    *

        Il est difficile d'imaginer une œuvre littéraire qui n'aurait aucun « enjeu », aucun sujet sur lequel le lecteur peut « focaliser son intérêt ». Il semble évident, en premier lieu, que la « valeur de l'art » ou de la littérature est principalement déterminée par le travail du fond, du sujet de l'oeuvre.

        En effet, c'est d'ailleurs le travail du fond, de la diégèse et des enjeux de l'oeuvre qui ont longtemps défini la littérarité d'un message verbal. Jusqu'au XVIIIème siècle, sont considérés comme littéraires les textes représentant dans un récit des hommes en action, pris dans des événements imaginaires plus ou moins inspirés de la réalité. Cette conception aristotélicienne de la littérature reposait donc sur le critère de la mimesis, que Genette traduit par « fiction » dans Fiction et Diction. Les récits devaient être de préférence en vers mais c'était un critère secondaire, le travail de la forme était mis sur le second plan. De cette manière, toute œuvre qui ne mettait pas en scène un récit d'hommes en action n'était pas considéré comme littéraire. C'est pourquoi la poésie lyrique était par exemple exclue de cette définition. Les fables, bien qu'elles mettent en scène des personnages ou des figures en action et qu'elles soient en vers, n'étaient pas considérées comme de la littérature non plus par jugement de valeur. Le travail du fond, du sujet d'une œuvre a donc toujours été plus central dans la définition de la littérature que le travail de la forme qui n'avait pas la même importance, ce qui tend à prouver que c'est avant tout les enjeux, la diégèse d'une œuvre littéraire qui fondent « la valeur de l'art ».

        De plus, la forme littéraire que revêt une œuvre est liée à la langue et aux codes d'écriture de son époque, si bien que certaines œuvres attirent moins les lecteurs avec le temps car leur langage n'a pas la même accessibilité pour les générations postérieures. Au contraire, le contenu, le fond d'une œuvre est intemporel, surtout s'il « en vaut la peine » comme disait Rochlitz. Par exemple, La princesse de Clèves de Mme de Lafayette est un ouvrage qui est plus souvent étudié, analysé dans un contexte scolaire pour être compris que lu par plaisir. Le « style modeste » ( expression d'Albert Béguin ) de Lafayette qui emploie beaucoup de litotes et d'euphémismes comme « Sa passion n'était point diminuée » par exemple, peut rebuter le lecteur contemporain, et certaines expressions tendent même à brouiller sa compréhension car elles ont un sens complètement différent aujourd'hui, comme le nom « galanterie » dans la première phrase du roman : « La magnificience et la galanterie n'ont jamais paru en France avec autant d'éclat que dans les dernières années du règne de Henri second ». Dans cette phrase, « galanterie » renvoie en effet à la passion de l'adultère, c'est donc une expression très brutale pour un incipit mais le lecteur ne peut pas le savoir s'il n'a pas les connaissances linguistiques nécessaires. Le style de Mme de Lafayette est nettement moins accessible aux lecteurs contemporains, néanmoins les sujets abordés dans son roman le sont toujours et continuent d'animer des débats autour de la fidélité et de la passion amoureuse. De cette façon, il semble encore une fois que ce soit bien le sujet, le fond de l'oeuvre qui « focalisent l'intérêt » et conservent la qualité d'une œuvre. De plus, au XXème siècle, les auteurs se sont tournés vers une écriture plus proche de notre langage quotidien, comme avec l'écriture blanche d'Albert Camus ou d'Ernest Hemingway, ou le roman parlant de Raymond Queneau : le travail de la forme semble donc moins important puisque ces romans tendent à être plus proche de notre langage et à se focaliser sur le contenu de la diégèse.

        Enfin,une œuvre peut toucher plus facilement un lecteur quand il peut comprendre et s'identifier aux thèmes abordés par l'auteur. C'est la « transmigration » pour reprendre le terme de Roland Barthes dans Sade, Fourier, Loyola : le lecteur peut retrouver des éléments de sa vie dans les sujets que le livre aborde, il y a une « co-existence ». Selon Barthes toujours, c'est là que le plaisir du texte s'accomplit d'une façon « plus profonde » et qu'il y a vraiment « Texte ». L'oeuvre littéraire touche le lecteur d'une façon plus intime et personnelle, et ce grâce au sujet du livre, la forme est encore une fois seulement secondaire. De la même façon, un lecteur sera plus touché par des œuvres engagées quand elles évoquent des sujets qui « en vaillent la peine » et qui déclencheront sa peine, son choc et son empathie. Par exemple, des livres comme Aucun de nous ne reviendra de Charlotte Delbo ou L'espèce humaine de Robert Antelme sont des livres qui ont bouleversé les lecteurs en parlant des camps de concentration. Il y a certes un travail sur la forme de leur part, mais Antelme écrit par exemple ce qui lui est arrivé dans un style très simple, presque trivial. L'incipit de son roman, « je suis parti pisser », avait même fait polémique lors de sa publication par sa familiarité. C'est davantage la dureté du fond, des histoires évoquées, qui a touché les lecteurs et qui a gardé en mémoire ce que les camps de concentration ont fait. De cette manière, il semble encore qu'il est important, voire nécessaire qu'une œuvre soit porteuse d'un enjeu et d'un travail sur le fond, et que c'est avant tout ce travail qui permet de « fonder la valeur de l'art ».

...

Télécharger au format  txt (20.1 Kb)   pdf (96.4 Kb)   docx (14 Kb)  
Voir 13 pages de plus »
Uniquement disponible sur LaDissertation.com