Petite analyse d'un texte de Francis Ponge

Ô éléments décoratifs et constitutifs du langage, venez au secours du danseur qui a perdu ses moyens ! Je resterai source d’émotion et d’intérêt grâce à la puissance mécanique de ce que vous contenez de sensible. J’ajouterai à mon discours les failles abyssales que ma condition de mortel impose et l’on n’entendra plus qu’un phénomène. Je veux révéler votre essence, qui vaut infiniment mieux que tout ce que vous représentez.

Microlecture du premier paragraphe :

Nous allons montrer qu’en un seul paragraphe, Francis Ponge impose l’idée qu’il est un mage dont l’incantation réalise un transfert de matière. En effet, nous avons bien affaire à un sort. Le paragraphe, de plus, est construit un parallèle de forme qui montre deux pôles capables d’être compensés l’un par l’autre. Enfin, au centre de l’action se trouve le poète.

1/ Nous avons affaire à une incantation.

L’évocation (ô draperies, ô massifs…) est un appel et une personnification, l’impératif sous entendu « venez ! » :« (venez) à mon secours ! » est pour donner un ordre : cela correspond à une invocation, c’est-à-dire un sort destiné à faire changer de plan d’existence une créature réelle ou mythique pour la faire devenir réelle.

2/ Le parallèle de forme induit un rapprochement, un complément, une absorption.

Les trois premières lignes sont formées d’une accumulation d’éléments d’architecture du langage, séparées par des virgules. À ces trois premières lignes répondent les trois dernières, qui sont formées d’une accumulation de propositions relatives destinées à qualifier « l’homme » et à le présenter comme diminué. L’accumulation positive d’éléments de matière du langage donne par anticipation une solution au vide laissé par « le courage et la science » de cet homme, qui sont partis : elle va combler ce vide. Centralité du mot « secours » (avec « l’homme »). Dessin d’un chemin : d’un côté « venez », de l’autre il y a départ.

3/ La mise en valeur de « l’homme » lui fait jouer un rôle central.

Par sa situation au centre du paragraphe, par l’utilisation des propositions relatives qui, par nature, sont rejetées après, par l’utilisation du déterminant défini en contraste avec l’indéfini lié au terme général « homme », attire le regard vers ce point d’équilibre autour duquel tournent un pôle positif (les éléments du langage) et un pôle négatif (la perte de sa capacité à danser). C’est le véritable sujet du texte, celui qui agit. Ce déterminant défini « l’ » joue un rôle de désignation qui lui aussi a un caractère magique ou divin (« Que la lumière soit. »).

L’homme mis en valeur au centre du paragraphe donne l’ordre à la matière du langage de combler le vide laissé par son incapacité à danser. Il n’y a pas de doute que la force de sa volonté le rend capable, comme la suite le montrera, de modifier les représentations humaines et de révéler ce que les conventions rendent invisible.

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