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Petit extrait du roman Au bonheur des dames de Zola

Fiche : Petit extrait du roman Au bonheur des dames de Zola. Recherche parmi 297 000+ dissertations

Par   •  27 Janvier 2013  •  Fiche  •  9 284 Mots (38 Pages)  •  929 Vues

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Chaque samedi, de quatre à six, Mme Desforges offrait une tasse de thé et des gâteaux aux personnes de son intimité, qui voulaient bien la venir voir. L’appartement se trouvait au troisième, à l’encoignure des rues de Rivoli et d’Alger et les fenêtres des deux salons ouvraient sur le Jardin des Tuileries.

Justement, ce samedi-là, comme un domestique allait l’introduire dans le grand salon, Mouret aperçut de l’antichambre, par une porte restée ouverte, Mme Desforges qui traversait le petit salon. Elle s’était arrêtée en le voyant, et il entra par là, il la salua d’un air de cérémonie. Puis, quand le domestique eut refermé la porte, il saisit vivement la main de la jeune femme, qu’il baisa avec tendresse.

– Prends garde, il y a du monde ! dit-elle tout bas, en désignant d’un signe la porte du grand salon. Je suis allée chercher cet éventail pour le leur montrer.

Et, du bout de l’éventail, elle lui donna gaiement un léger coup au visage. Elle était brune, un peu forte, avec de grands yeux jaloux. Mais il avait gardé sa main, il demanda :

– Viendra-t-il ?

– Sans doute, répondit-elle. J’ai sa promesse.

Tous deux parlaient du baron Hartmann, directeur du Crédit Immobilier. Mme Desforges, fille d’un conseiller d’État, était veuve d’un homme de Bourse qui lui avait laissé une fortune, niée par les uns, exagérée par les autres. Du vivant même de celui-ci, disait-on, elle s’était montrée reconnaissante pour le baron Hartmann, dont les conseils de grand financier profitaient au ménage et, plus tard, après la mort du mari, la liaison devait avoir continué, mais toujours discrètement, sans une imprudence, sans un éclat. Jamais Mme Desforges ne s’affichait, on la recevait partout, dans la haute bourgeoisie où elle était née. Même aujourd’hui que la passion du banquier, homme sceptique et fin, tournait à une simple affection paternelle, si elle se permettait d’avoir des amants qu’il lui tolérait, elle apportait, dans ses coups de cœur, une mesure et un tact si délicats, une science du monde si adroitement appliquée, que les apparences restaient sauves et que personne ne se serait permis de mettre tout haut son honnêteté en doute. Ayant rencontré Mouret chez des amis communs, elle l’avait détesté d’abord puis, elle s’était donnée plus tard, comme emportée dans le brusque amour dont il l’attaquait, et, depuis qu’il manœuvrait de manière à tenir par elle le baron, elle se prenait peu à peu d’une tendresse vraie et profonde, elle l’adorait avec la violence d’une femme de trente-cinq ans déjà, qui n’en avouait que vingt-neuf, désespérée de le sentir plus jeune, tremblant de le perdre.

– Est-il au courant ? reprit-il.

– Non, vous lui expliquerez vous-même l’affaire, répondit-elle, cessant de le tutoyer.

Elle le regardait, elle songeait qu’il ne devait rien savoir, pour l’employer ainsi auprès du baron, en affectant de le considérer simplement comme un vieil ami à elle. Mais il lui tenait toujours la main, il l’appelait sa bonne Henriette, et elle sentit son cœur se fondre. Silencieusement, elle tendit les lèvres, les appuya sur les siennes puis, à voix basse :

– Chut ! on m’attend… Entre derrière moi.

Des voix légères venaient du grand salon, assourdies par les tentures. Elle poussa la porte, dont elle laissa les deux battants ouverts, et elle remit l’éventail à une des quatre dames qui étaient assises au milieu de la pièce.

– Tenez ! le voilà, dit-elle. Je ne savais plus, jamais ma femme de chambre ne l’aurait trouvé.

Et, se tournant, elle ajouta de son air gai :

– Entrez donc, monsieur Mouret, passez par le petit salon. Ce sera moins solennel.

Mouret salua ces dames, qu’il connaissait. Le salon, avec son meuble Louis XVI de brocatelle à bouquets, ses bronzes dorés, ses grandes plantes vertes, avait une intimité tendre de femme, malgré la hauteur du plafond et par les deux fenêtres, on apercevait les marronniers des Tuileries, dont le vent d’octobre balayait les feuilles.

– Mais il n’est pas vilain du tout, ce chantilly ! s’écria Mme Bourdelais, qui tenait l’éventail.

C’était une petite blonde de trente ans, le nez fin, les yeux vifs, une amie de pension d’Henriette, qui avait épousé un sous-chef du ministère des Finances. De vieille famille bourgeoise, elle menait son ménage et ses trois enfants, avec une activité, une bonne grâce, un flair exquis de la vie pratique.

– Et tu as payé le morceau vingt-cinq francs ? reprit-elle en examinant chaque maille de la dentelle. Hein ? tu dis à Luc, chez une ouvrière du pays ?… Non, non, ce n’est pas cher… Mais il a fallu que tu le fisses monter.

– Sans doute, répondit Mme Desforges. La monture ne coûte deux cents francs.

Alors, Mme Bourdelais se mit à rire. Si c’était là ce qu’Henriette appelait une occasion ! Deux cents francs, une simple monture d’ivoire, avec un chiffre ! et pour un bout de chantilly, qui lui avait bien fait économiser cent sous ! On trouvait à cent vingt francs les mêmes éventails tout montés. Elle cita une maison, rue Poissonnière.

Cependant, l’éventail faisait le tour de ces dames. Mme Guibal lui accorda à peine un coup d’œil. Elle était grande et mince, de cheveux roux, avec un visage noyé d’indifférence, où ses yeux gris mettaient par moments, sous son air détaché, les terribles faims de l’égoïsme. Jamais on ne la voyait en compagnie de son mari, un avocat connu au Palais, qui, disait-on, menait de son côté la vie libre, tout à ses loisirs et à ses plaisirs.

– Oh ! murmura-t-elle en passant l’éventail à Mme de Boves, je n’en ai pas acheté deux dans ma vie… On vous en donne toujours de trop.

La comtesse répondit d’une voix finement ironique :

– Vous êtes heureuse, ma chère, d’avoir un mari galant.

Et, se penchant vers sa fille, une grande personne de vingt ans et demi :

– Regarde donc le chiffre, Blanche. Quel joli travail !… C’est le chiffre qui a dû augmenter ainsi la monture.

Mme

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