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Notre Dame De Paris

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Par   •  2 Mai 2013  •  3 051 Mots (13 Pages)  •  1 403 Vues

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LA DANSE D'ESMERALDA OU LE « ROMAN DRAMATIQUE »

Lecture d'un passage représentatif de l'esthétique romanesque de V. Hugo,

par Romain Vignest

Quand paraît Notre-Dame de Paris, en mars 1831, Victor Hugo est, depuis 1827 et la Préface de Cromwell, le théoricien et le chef de file d’une école romantique qu’il a menée au triomphe un an plus tôt. Mais les romantiques sont aussi les adeptes et les laborantins du genre romanesque, et ces années sont celles de l’élaboration du roman moderne. S’il a déjà donné quelques coups d’essai en la matière, Hugo réalise avec Notre-Dame de Paris son premier chef d’œuvre, le premier exemple accompli de ce roman nouveau, de ce « roman dramatique » qu’il avait commencé de concevoir dès 1823 et dont Walter Scott n’avait que « frayé le chemin1 ».

Aussi n’est-il pas interdit, étant donnée l’entreprise formée par l’auteur, de chercher dans le spectacle que constitue la danse d’Esméralda2, une mise en abyme de l’esthétique dramatique telle que Hugo l’a théorisée et mise en œuvre pour le théâtre, telle qu’il est en train de l’inventer pour le roman.

L’arrivée de la Esméralda avait, à la fin du livre premier, définitivement détourné les spectateurs du « mystère » de Pierre Gringoire ; au cours du livre deuxième, le lecteur est amené, en compagnie du poète malheureux, de sa moralité échouée à la danse d’Esméralda, laquelle suscite une « affluence de spectateurs » : ce contexte et ce truchement sont une incitation à opposer les deux spectacles et à voir dans cette danse une représentation des idées esthétiques de Victor Hugo.

Le spectacle d’Esméralda se déroule en trois temps. Tout d’abord, nous assistons à une danse d’une si sublime légèreté que Gringoire n’en peut croire l’exécutrice humaine. La natte qui se défait et la pièce de cuivre qui roule à terre inaugurent le deuxième temps en dénonçant l’humanité de la danseuse ; celle-ci se met alors à faire tourner deux épées appuyées sur son front en un numéro de saltimbanque qui, quoique humain et bohémien, enchante à nouveau Gringoire. Enfin, la chèvre Djali entre en scène pour un numéro de parodiste.

Si la danse d’Esméralda est admirable au point de fixer, de se cheviller l’attention de l’assistance et de Gringoire, sa nature et celle de l’admiration qu’elle suscite ne vont pas sans une certaine ambiguïté, sensible dès la première réaction de Gringoire : « il fut fasciné par cette éblouissante vision ». Le verbe « fasciner » ressortit à la sorcellerie : fascinum, c’est un charme, un maléfice, c’est aussi la représentation rituelle du membre viril. En revanche, le mot « vision », auquel est de plus accolé le lumineux qualificatif « éblouissante », relève du vocabulaire théologique et évoque l’accès à une représentation divine. De même, si sa figure est « rayonnante », ses « grands yeux noirs » jettent « un éclair », hypnotique, séducteur. Tout son personnage est traversé par cette ambiguïté, tant elle semble réunir les contraires, tant sont indistinctes en elle la réalité et l’apparence : « Elle n’était pas grande, mais elle le semblait (…) Elle était brune, mais on devinait que le jour sa peau devait avoir ce beau reflet doré (…) Son petit pied (…) était tout ensemble à l’étroit et à l’aise dans sa gracieuse chaussure. » Si ses bras sont « purs », sa danse n’en est pas moins empreinte d’érotisme : « ses épaules nues, ses jambes fines que sa jupe découvrait par moments, ses cheveux noirs, ses yeux de flamme » tournoient en une danse de séduction.

Devant tant d’agilité et de grâce, Gringoire songe à des créatures fabuleuses, ce qui contribue encore à présenter la danse décrite comme une représentation, et même comme une représentation particulièrement réussie, puisque le spectateur Gringoire est « pris au jeu », qu’il a l’illusion de la réalité et croit que la danseuse est réellement l’une de ces créatures. En outre, pour le lecteur de la Préface de Cromwell (mais aussi des Odes et ballades), ces évocations renvoient à la réflexion de Hugo sur le sublime et le grotesque. Si la fée est un type du sublime, sa confrontation avec l’ange relativise la « pureté d’essence » que lui reconnaissait la Préface de Cromwell3 ; la bacchante, qui contrebalance la déesse, incarne une féminité pour le moins agressive ; la salamandre surtout, que le narrateur reprend après Gringoire, nom cabalistique donné aux esprits du feu, s’oppose à l’aquatique nymphe, comme à l’ondine dans la Préface de Cromwell, et tire les tourbillons de la danse d’Esméralda vers ceux de « La Ronde du sabbat4 ». Aussi le spectacle et le rôle joué par Esméralda apparaissent-ils d’une virtuosité effectivement « surnaturels », mais d’une « surnaturalité » ambiguë, tendue entre le divin et le malin, l’ange et la succube — à moins qu’il ne s’agisse en vérité d’une représentation complète de l’humanité, comme tend à le confirmer la suite du spectacle.

C’est en effet une faille dans la prestation jusqu’alors parfaite d’Esméralda qui vient trahir son humanité : « En ce moment une des nattes de la "salamandre" se détacha, et une pièce de cuivre jaune qui y était attachée roula à terre. » L’irruption du grotesque au sein du sublime suspect ne vient pas trancher l’ambiguïté mais la ramène à l’échelle humaine. Car si Gringoire a été tiré de son illusion par le cupride et trop humain incident, le charme de la jeune fille ne tarde pas à reprendre : « Mais quelque désenchanté que fût Gringoire, l’ensemble de ce tableau n’était pas sans prestige et sans magie5. » L’ascendant, l’ensorcellement tiennent donc à l’humanité même de la danseuse et de son spectacle, alors même que celui-ci mêle à présent, intimement, dans un exercice de « voltige », sa danse à un numéro de saltimbanque, le sublime au grotesque. Le rougeoiement n’en est que plus vif : « une lumière crue et rouge » tremble sur le front de la jeune fille, et teint « d’écarlate » les « mille visages » toujours fascinés ; et c’est bien l’humanité (et la féminité) de celle qu’il va bientôt accuser de sorcellerie qui plonge Claude Frollo dans une rêverie « de plus en plus sombre ».

Cette fois encore, un détail très humain et très réaliste met un terme au deuxième acte : Esméralda est « essoufflée ». Djali est la caprine partenaire du troisième numéro ; il s’agit certes d’un numéro de foire, mais celui-ci marque un approfondissement, absolument

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