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Lorenzaccio de Musset

Cours : Lorenzaccio de Musset. Recherche parmi 297 000+ dissertations

Par   •  20 Février 2013  •  Cours  •  3 345 Mots (14 Pages)  •  769 Vues

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Intelligent, ce patricien de vingt-trois ans aurait été studieux : voulant lui découvrir l'énigme de sa vie, il confie à Philippe Strozzi : «J'étais un étudiant paisible, et je ne m'occupais alors que des arts et des sciences» (III, 3) ; pour sa mère, il a «la science d'un docteur» [I, 6] ; il est, en homme du XVIe siècle empreint d'exemples anciens, admirateur des héros de I'Antiquité grecque, se comparant à Oreste, vengeur de son père sur sa mère et sur Égisthe (IV, 3), se vantant : «Je suis très fort sur l'histoire romaine» mais en parlant avec désinvolture (II, 4), déclarant : «Qu'ils m'appellent comme ils voudront, Brutus ou Érostrate, il ne me plaît pas qu'ils m'oublient.» (III, 3 ; il s'identifait à la fois à Brutus l'Ancien qui «a fait le fou pour tuer Tarquin» (III, 3) et à l'autre Brutus qui, cinq siècles plus tard, pour sauver cette même république assassina Jules César, tandis que l'Éphésien Érostrate fut l'anonyme qui voulut passer à la postérité, et y réussit en incendiant le temple d'Artémis). Il cite Dante aussi. Il est traité par le duc de «gratteur de papier», de «méchant poète qui ne sait seulement pas faire un sonnet» (I, 4). Le vrai Lorenzo avait composé une comédie, ‘'Arridosio'', et son ‘'Apologia'' allait prouver qu'il maniait avec habileté la rhétorique du XVIe siècle. Chez Musset, cet intellectuel qui vit et se nourrit des mots, qui a le goût et le sens de la parole, de la joute oratoire, montre un esprit qui est une arme acérée.

Sa culture et sa réflexion ont fait de lui un «libertin» (I, 4), pas tant au sens d'aujourd'hui (celui qui est déréglé dans ses mœurs, dans sa conduite, s'adonne sans retenue aux plaisirs charnels) qu'au sens ancien (qui ne suit pas les lois de la religion, qui est libre penseur), l'ont conduit au scepticisme religieux («S'il y a quelqu'un là-haut, il doit bien rire de nous» [IV, 9]), sire Maurice affirmant même qu'il est «athée».

Il est habile à la moquerie provocatrice, à l'analyse des autres, et Marie le voit «grommeler une ironie ignoble et le mépris de tout» (I, 6). Il apparaît même comme la conscience de ceux qui l'entourent, comme s'il passait au crible tous leurs discours, les jugeait et les rejetait pour finalement mettre en question le sien propre. Surtout, s'intéressant beaucoup à lui-même, il s'autoanalyse aussi, toute la pièce basculant autour de l'énorme confession de III, 3 qui donne sa dimension au personnage, qui est prolongée par les trois grands monologues de l'acte IV et par la méditation sur soi qui accompagne les scènes avec Philippe à l'acte V. Toute la pièce peut être lue comme la mise en scène de la conscience du personnage central.

Adolescent, il aurait été «pur comme un lis» (III, 3) ; il affirme : «Ma jeunesse a été pure comme l'or» (III, 3). Pourtant, pour quelle raison? il fut cet iconoclaste qui décapita les statues de l'arc de Constantin. Et, en même temps, il se serait senti, d'une façon surnaturelle, investi d'une mission politique sinon humanitaire : «Pendant vingt ans de silence, la foudre s'est amoncelée dans ma poitrine ; et il faut que je sois réellement une étincelle du tonnerre, car tout à coup, une certaine nuit que j'étais assis dans les ruines du Colisée antique, je ne sais pourquoi je me levai ; je tendis vers le ciel mes bras trempés de rosée, et je jurai qu'un des tyrans de ma patrie mourrait de ma main.» (III, 3) ; il se serait voulu jouer le rôle d'un archange exterminateur pour le bien de Florence à laquelle il serait resté fidèle, étant conduit par une fatalité à laquelle il donne, comme il se doit dans cette société chrétienne, le nom de Providence : «La Providence m'a poussé à la résolution de tuer un tyran, quel qu'il fût.»

Mais, pour remplir cette mission, il lui faut régler ses comptes avec ce passé d'adolescent enthousiaste, prendre en particulier congé d'une illusion, celle du salut par l'art (II, 2) qui, désormais, n'a plus sa place dans l'affrontement avec le mal qu'il va livrer.

Musset, faisant preuve de finesse psychologique, amena son personnage à vouloir, pour satisfaire sa quête d'identité, «prendre corps à corps la tyrannie vivante» (III, 3) dans une action difficile, glorieuse et efficace, à trouver de nobles justifications pour son meurtre, à emprunter, pour arriver jusqu'à l'homme qu'il voulait tuer, «une route hideuse» (III, 3).

C'est pour atteindre ce but sublime, tout en cédant à la tentation masochiste de se salir et de se dégrader volontairement, qu'il lui aurait fallu se transformer en cet être dépravé et corrompu qui apparaît dès la première scène, où il se présente comme un organisateur cynique, diabolique, des plaisirs pervers du duc dont il est devenu le mignon, le valet, le bouffon, l'entremetteur, le Sganarelle de ce Don Juan.

Mais ne devons-nous pas nous demander : quel rapport a-t-il lui-même avec le plaisir? Il nous dit : «J'aime le vin, le jeu et les filles» [III, 3]), ce qui est un programme assez conventionnel. Il ne révèle rien des rapports affectifs qu'il pourrait avoir avec quelque autre personnage, qu'on ne peut que déduire ou imaginer car ils ne sont jamais formulés : la tendresse pour sa mère et pour Catherine, l'amitié pour Philippe (qui est incontestable, on peut la déduire du fait de sa confession et de sa fuite à Venise auprès de lui), enfin la relation ambiguë avec le duc. Est-ce l'attraction homosexuelle dont Varchi avait parlé, que Musset suggère : «L'autre jour à la chasse, j'étais en croupe derrière vous, et, en vous tenant à bras-le-corps, je la [la cotte de mailles] sentais très bien.» (II, 6) et qui fut, dans la mise en scène de 1952 qui réunissait Gérard Philipe et Daniel Ivernel, tranquillement affirmée. On peut donc imaginer de sa part l'amour exclusif d'un homosexuel qui n'est pas satisfait par un impénitent don Juan bisexuel cédant à des tentations multiples. Hait-il Alexandre à cause de leur ressemblance, en voyant en lui un mauvais double, ou à cause de leur différence?

La pauvreté du discours affectif de Lorenzo est le signe même de cette espèce de pétrification du personnage, de cette transformation en statue. Ne se demande-t-il pas : «Sont-ce bien les battements d'un cœur humain que je sens là, sous les os de ma poitrine?» (IV, 3). Après le meurtre d'Alexandre, il avoue à Philippe : «Je suis plus creux et plus vide qu'une statue de fer-blanc.»

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