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Les Liaisons Dangereuses

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Par   •  6 Mars 2013  •  3 565 Mots (15 Pages)  •  1 129 Vues

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Le langage de l’amour dans

Les Liaisons dangereuses

A la fin du siècle des Lumières, publiée en 1782, l’œuvre des Liaisons Dangereuses apparaît comme une vaste entreprise de désacralisation du langage amoureux. Mais c’est pourtant aussi un roman où l’on meurt d’amour, dans la plus pure tradition de la passion romanesque et tragique. Cette ambiguïté résulte des différents points de vue qu’on offre le roman sur l’amour, comme des discours contradictoires qui impliquent le mot amour ou le verbe aimer : au départ radicalement opposés, ils s’entrecroisent et finissent par se brouiller. Dans un pari à la fois esthétique et ontologique, Laclos redonne au discours amoureux toute l’opacité qui en fait la force.

La démystification libertine de l’amour s’appuie essentiellement sur la définition restrictive, énoncée comme une sentence : «l’amour, que l’on nous vente comme la cause de nos plaisirs, n’en est au plus que le prétexte» (LXXXI). Cette maxime de la marquise de Merteuil fait écho à celle de la lettre X : «ne vous souvient-il plus que l’amour est, comme la médecine, seulement l’art d’aider à la Nature ?» Ces aphorismes restrictifs, illustrent en effet l’un des principaux articles du credo cynique des libertins, qui réduit l’amour à son principe physique. Les discours des libertins exprime une constante suspicion à l’égard du sentiment amoureux : la marquise dénonce, en une équivalence polémique, «ces femmes à délire, et qui se disent a sentiments» (LXXXV), tandis que Danceny, emblème d’une relation naïve au sentiment amoureux, est qualifié de l’adjectif péjoratif «sentimentaire» (CXLIV).

La critique du sentiment trouve alors son corollaire dans la démystification du discours amoureux : il n’est plus considère que comme un ensemble de cliches cherchant à faire passer pour de l’amour ce qui n’est que du «gout», terme crébillonniez, «enfant léger de la séduction et du plaisir»(LXVIII). Au réalisme d’un Danceny, affirmant la «puissance» du je vous aime, véritable «talisman» de l’amour (LXVI), s’oppose le nominalisme des libertins, exhibant dans le langage un divorce entre signifiant est signifié. Le discours amoureux parait à la marquise aussi fige que celui de la politesse, le langage code par excellence : ce n’est qu’un «jargon d’usage», «un simple protocole, auquel on ne croit pas davantage, qu’au trèshumble serviteur» (CXXI). Le mot amour, comme tant d’autres, n’est pur elle dans le discours de Prévan qu’un mot «parasite» recouvrant la nudité du désir : «Il m’y annonçait que je pouvais compter sur lui, et ce mot essentiel était entouré de tous les mots parasites, d’amour, de bonheur, etc., qui ne manquent jamais de se trouver à pareille fête» (LXXXV). La traduction par l’expression courante et triviale «compter sur lui», dénonce bien sous le raffinement d’un langage galant l’intention plus grossière qu’il masque : dès qu’il s’agit de fixer les modalités d’un rendez-vous, le lyrisme cède aux détails pratiques qui envahissent de façon burlesque le devant de la scène amoureuse. Le discours amoureux n’est donc que la tactique décente du désir. C’est ainsi que la marquise de Merteuil, condamnant la tactique épistolaire de Valmont, se livre à un exercice de réinterprétation pragmatique avant la lettre : «cette marche peut réussir avec des enfants qui, quand ils écrivent“je vous aime”, ne savent pas qu’ils disent “je me rends”. Mais la vertu raisonneuse de Madame de Tourvel me parait fort bien connaitre la valeur des termes » (XXXIII).

Si le système du libertinage constate la primauté du désir sur le sentiment, et de l’acte sur le discours, la forme épistolaire que choisit Laclos permet pourtant de consacrer l’efficacité du discours amoureux : il y a bien un paradoxe, chez le séducteur cynique, àdénigrer le langage de l’amour tout en vérifiant sa puissance sur autrui, et c’est l’un des intérêts majeurs de l’œuvre. Dans les traditions galante des romans libertins du XVIIIe siècle, le discours amoureux n’est plus pris au sérieux : simple masque travestissant le désir, il ne trompe que si l’on y consent. En revanche, dans Les Liaisons, le code galant n’est plus au service de la décence, mais du mensonge : « les règles qui servaient à plaire servent désormais à perdre » et l’imposture d’un Valmont ne concerne pas que des victimes consentantes, ou trop naïves pour n’être pas ridicules ; elle se solde par la mort d’une femme lucide et sincère, Mme de Tourvel, figure tragique de l’amante passionnée.

Le séducteur sait bien la force du mot amour, mot use mais qu’il est important de prononcer, et capital d’obtenir : simple protocole sollicitant l’accord du désir, il devient une question de vie et de mort pour Mme de Tourvel ; si Cécile et Danceny ne s’aperçoiventguère de la facilite avec laquelle ils passent du mot amitié au mot amour, l’étape est plus difficile à franchir chez la présidente, consciente de la gravite de ce discours. Valmont le sait bien, qui prend la précaution de ne pas prononcer d’emblée le mot amour. La puissance du langage de l’amour s’exprime au détour d’une hypothèse sous la plume de Mme de Tourvel, en proportion de l’appréhension qu’il suscite : « Vous croyez, Monsieur, ou vous feignez de croire que l’amour mène au bonheur ; et moi, je suis si persuadée qu’il me rendrait malheureuse que je voudrais n’entendre jamais parler » : l’expression prononcer son nom insiste davantage sur cette forme de croyance en la puissance du mot. Si la marquise exploite avec Danceny cette confusion entre le mot amitié et amour, en revanche il est essentiel a Valmont d’obtenir avant tout l’aveu de la présidente : « je suis revenu à ce mot d’amour, si obstinément refuse » (XCIX). C’est le même mot qui est attendu, par le « langoureux Danceny » : « Ah ! Dites un mot, et ma félicité sera votre ouvrage. Mais, avant de prononcer, songez qu’un mot peut aussi combler mon malheur ». A la version cynique de ce « refrain perpétuel », comme l’appelle la marquise, s’oppose la version lyrique et tragique : c’est bien un « mot », non plus à entendre, mais à prononcer ou à taire, au fait le tournement de la présidente : « tandis qu’on souffre ces douleurs insupportables, sentir à chaque instant qu’on peut les faire cesser d’un mot, et que ce mot soit un crime ! Ah ! Mon amie ! » (CVIII)

On sait que dans la langue classique, amitié pouvait, dans un certain nombre de cas, signifier amour, avec quelques petites restrictions subtiles. Ces deux mots sont employé avec leur sens moderne par Madame de Tourvel : « j’ai cru,

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