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Les Chants De Maldoror, Lautréamont

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Par   •  23 Janvier 2013  •  2 772 Mots (12 Pages)  •  2 010 Vues

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Bachelard est un des premiers commentateurs de Lautréamont postérieur aux surréalistes. Ceux-ci avaient fait des Chants de Maldoror une œuvre annonciatrice de l’écriture automatique en mettant en avant les mécanismes psychiques qui présidaient à sa création. C’est dans une certaine continuité avec ces derniers que Bachelard propose dans son ouvrage Lautréamont, publié en 1939, une analyse psychanalytique des Chants de Maldoror et formule même l’hypothèse d’un « complexe de Lautréamont ». D’une manière générale, Bachelard s’intéresse au rapport entre la poésie et le réel, et il trouve en Lautréamont un cas extrême : poète à l’imagination flamboyante que certains ont rapproché de la folie, il est aussi un « poète des muscles et du cri », de la force physique. C’est d’ailleurs en conclusion du chapitre ainsi intitulé que Bachelard écrit :

« Ceux qui voient dans ces Chants une malédiction théâtrale se trompent. C’est un univers spécial, un univers actif, un univers crié. Dans cet univers, l’énergie est une esthétique. »

« Malédiction », le mot semble résumer à lui tout seul les Chants de Maldoror, tant le mal et la parole en sont des composantes fondamentales, que le titre même annonce (les Chants pour la parole poétique, le « mal » que l’on entend dans Maldoror). En effet, les Chants peuvent être lus comme une longue malédiction proférée par une voix, que ce soit celle du comte de Lautréamont ou celle de Maldoror lui-même. Cependant, Bachelard réfute l’aspect « théâtral » du recueil et revendique l’indépendance de l’œuvre vis-à-vis de toute origine de la parole puisqu’il propose, en contrepoint d’une esthétique dramatique, une « esthétique de l’énergie » et qu’il parle d’un « univers » « spécial », « actif » et « crié ». Par l’emploi de ce dernier adjectif, Bachelard conteste l’importance de la parole dans les Chants, mais souligne celle de la voix.

Quel rôle les Chants de Maldoror accordent-ils à la voix qui les profère ?

Il est difficile de déterminer le rôle de la voix qui chante dans l’œuvre de Lautréamont car, si sa présence est indéniable, l’identification de son origine est troublée par les oscillations du texte entre récit et discours et entre différents sujets poétiques. C’est cependant de ces oscillations de la voix que l’écriture des Chants tire l’énergie qui fait de l’oeuvre un univers imaginaire et auto-créé – un « work in progress » selon Blanchot. Le pouvoir performatif de cette voix, constitutif des Chants, instaure une nouvelle forme d’esthétique presque dramatique mais pas « théâtrale » : une « esthétique de l’énergie ».

La présence d’une voix à l’origine des Chants de Maldoror est indéniablement suggérée par différents éléments du texte : un auteur qui se positionne constamment en scripteur, de nombreux discours tantôt déclamation au « Vieil Océan », tantôt invocation des mathématiques. Cependant, dès le titre du recueil, il est difficile de déterminer l’origine de la voix qui chante dans les Chants de Maldoror. Est-ce Maldoror ou une instance que l’on appellerait « sujet poétique » ? Cette hésitation est bien plus encouragée que résolue par le texte.

En effet, au chant I, on peut comprendre la strophe 1 comme un avertissement au lecteur et la strophe 14 comme une postface, c’est-à-dire comme un habituel paratexte auctorial mais la strophe 3 vient bouleverser la distinction entre Lautréamont-auteur et Maldoror-personnage qu’elle commençait d’instaurer : « J’établirai en quelques lignes comment Maldoror fut bon… » est suivi de peu par « il disait qu’il était cruel. Humains, avez-vous entendu ? il ose le redire avec cette plume qui tremble ». La même confusion est mise en place lorsque le chant I se clôt sur un autoportrait de l’auteur « il est né sur les rives américaines… », ce qui suggère que les Chants de Maldoror racontent l’histoire du personnage Maldoror tandis que le chant II affirme que c’est « sa bouche [celle de Maldoror] » qui « laissa échapper ce chant », faisant de Maldoror le récitant de sa propre histoire.

De la même façon, au chant II, le texte adopte la forme d’un discours dit par Maldoror sur le mode de la confidence autobiographique à la première personne : la strophe 12 commence par « Ecoutez les pensées de mon enfance », la strophe 13 par « Je cherchais une âme qui me ressemblât » mais cette même strophe 13 voit la distinction entre récit et discours se brouiller à la faveur des événements qu’elle relate : Maldoror, qui semblait tenir les rênes du discours, devient, lorsque la femelle requin est en danger, « le spectateur », « l’homme à la salive saumâtre », l’objet du récit. Cette capacité de transformation du « je » en « il », du discours en récit, du personnage déclamant en narrateur relatant fait corps avec la logique métamorphique qui parcourt tout le texte et qui est, pour Bachelard, la manifestation d’une « esthétique de l’énergie ».

Cette porosité entre différentes origines verbales des Chants s’accompagne donc d’une porosité des rôles. On peut davantage parler de « cri » que de « chant », ce qui remet pas en question la beauté des Chants, mais leur continuité. En effet, l’existence problématique mais indéniable de cette voix implique un découpage du texte en « chants », comme en différents souffles et suggère que le texte est créé par à-coups, comme l’exprime explicitement la fin du chant I « je vais me remettre au travail pour faire paraître un deuxième chant dans un laps de temps qui ne soit pas trop retardé ». De plus, le texte évolue chant après chant et suggère ainsi des ellipses temporelles entre un chant et le suivant : la strophe 1 du chant II évoque les conséquences sur l’humanité du chant I.

Malgré cet aspect cacophonique, le texte reste un univers cohérent et ce grâce à la symbiose des sujets poétiques en une seule voix poétique. La preuve en est dans l’exclamation à la strophe 2 du chant II « instrument arraché aux ailes de quelque pyrargue roux ! ». Ainsi le texte définit-il la plume qui va servir à écrire le chant II, et cette description annonce des axes majeurs du texte : la violence (« arraché »), l’animalité (le pyrargue est un aigle, animal qu’on retrouvera à la strophe 3 du chant III) en même temps qu’elle suggère une autre dimension de l’écriture car l’expression « pyrargue roux » est empruntée à La Voix de Guernesey de Victor Hugo, dont le titre fait écho à la question qui nous concerne. L’apposition de cette description parfaitement accessoire de la plume est donc une manifestation d’une

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