Lecture Analytique, Incipit De Candide

lecture analytique, incipit de Candide, 1759

Contextualisation.

Candide est un conte philosophique, c'est-à-dire une histoire fictive, reprenant la structure du conte (« il était une fois… ») dans le but de produire une réflexion et une critique sur la société, forme qui à la fois amuse et permet à l’auteur de se soustraire à la censure.

Dans ce conte, Voltaire s’attaque à la thèse de Leibniz, philosophe allemand de la fin du XVIIème siècle (1646 /1716) ; cette thèse défend l’idée que l’univers est fondé selon un principe d’harmonie préétablie et que toute chose, même négative a sa raison d’exister (néanmoins la formule « tout est au mieux dans le meilleur des mondes possible » n’existe pas dans la pensée de Leibnitz : Voltaire déforme un peu cette théorie). Le tremblement de terre de Lisbonne (fin 55 – il écrit son poème sur le désastre de Lisbonne en 1756) lui semble remettre trop en cause cette théorie pour qu'on puisse continuer à la défendre.

Il va aussi dénoncer les artifices de la narration, c'est-à-dire ici, la structure et les artifices du conte : situation initiale en forme de satire, personnages caricaturaux, péripéties invraisemblables, situation finale parodique. Il opère ici un véritable détournement parodique du conte.

L'incipit présente le personnage principal, Candide, ainsi que son cadre de vie habituel, duquel il va devoir s'échapper afin que le conte se justifie.

Comment, au travers de l'évocation d'un monde idéal, l'incipit de ce conte philosophique annonce-t-il la dimension satirique de l'oeuvre ?

I/ La mise à distance du merveilleux

Rappelons tout d'abord le cadre habituel du conte (ou conte de fées) : un conte est un récit comportant des éléments extraordinaires destinés à émerveiller le lecteur, l'effrayer ou à l'édifier (lui permettre de réfléchir). Le début du conte retrace en général un univers stéréotypé (noblesse ou pauvreté exagérée sans précision de lieu ou de temps) d'où se détache la figure particulière du héros.

1°) L’univers du conte : temps, lieu et personnages.

Le début de Candide emprunte en effet à l’univers merveilleux du conte

– le temps semble indéterminé par la formule « Il y avait en Vestphalie… ». L'imparfait indique une durée, un temps figé. L'emploi d'un pronom démonstratif archaïque (« icelui ») semble reculer le récit dans un passé lointain, que l'on associe en effet traditionnellement à l'univers du conte.

– le sous titre « un beau château » semble désigner le cadre par excellence du conte.

– De plus la présentation du personnage principal (qui intervient dès le premier paragraphe) correspond bien à la présentation du héros de conte « un jeune garçon à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces »  trait de caractère marqué, pas de psychologie (idem conte). (remarquons déjà l'usage du superlatif, très employé dans les contes – le héros de conte a toujours une qualité particulière qui le distingue des autres. Par ailleurs, Candide semble être un fils naturel(« les plus anciens domestiques de la maison soupçonnaient (...) ») : son origine imprécise pourrait le destiner à être le héros d'un roman d'apprentissage, d'un conte initiatique...

– De la même façon, la famille de Candide (ou famille d'adoption) est présentée comme extraordinaire. L'usage du superlatif (un des plus puissants seigneurs, « la meilleure des baronnes possibles » « le plus grand philosophe (…) de toute la terre ») semble exclure tout défaut, et le vocabulaire mélioratif place la famille de Candide sous le signe de l'excellence («bon et honnête gentilhomme (l.8) , « un des plus puissants seigneurs » (l.12), une très grande considération (l.20),» et enfin, reprise de ce caractère exceptionnel par les superlatifs « le meilleur des mondes possibles » ( l. 29) « le plus beau des châteaux » (l. 30) « la meilleure des baronnes possibles » (l. 31)

Cette excellence ou ce caractère extraordinaire des personnages qui apparaît d'emblée fait de l'univers de Candide un monde clos, coupé de la réalité

2°) … mais des éléments discordants

Néanmoins, l'hésitation entre la fiction et la réalité est manifeste dès le début du texte: le sous-titre précise que le conte aurait été retrouvé dans la poche d’un « docteur Ralph lorsqu’il mourut à Minden » : Minden est un des batailles les plus sanglantes de la guerre de Sept Ans, sous le règne de Louis XV contemporaine de l'écriture du conte (1759). Même si ce docteur Ralph est une invention (le sous-titre en fait donc le narrateur du conte), le conte se rattache tout de même à la réalité.

Par ailleurs le nom du baron est ridicule : Thunder-Ten Tronckh, imprononçable et improbable (invention de Voltaire). Sonorités germaniques, rudes, allitération en T alors que Thunder = tonnerre (en anglais!) (Nom qui s'oppose aux sonorités douces et aux connotation de « Candide »)

- la Westphalie existe (voir note), et Voltaire situe son puissant baron dans une province d'Allemagne dont il a pu lui-même constater l'extrême pauvreté (voir note). Que vaut alors un « puissant seigneur » ou un « beau château » dans une telle région ?

- Le premier des arguments avancés pour justifier la grandeur du baron est absurde : « un des plus puissants seigneurs de la Vestphalie car son château avait une porte et des fenêtres ».Certes, en Vestphalie cela peut paraître remarquable (voir la note) mais pour un conte, l'argument est presque pitoyable. Le narrateur feint de trouver exceptionnel ce qui n’est que très ordinaire « sa grande salle même était ornée d’une tapisserie ».

Enfin, l'exagération fait douter le lecteur dès le début du texte : le narrateur ne va-t-il pas un peu loin ? - exagération dans le nombre de quartiers qu'il faut prouver pour prétendre être noble : plus de « soixante et onze quartiers, c'est à dire plus de soixante et onze degrés d'ascendance noble ! Il s'agit évidemment d'une exagération burlesque).

- Exagération dans le poids de la baronne.

- Exagération dans la désignation de Pangloss,

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