Lecture Analytique Des Cannibales

LECTURE ANALYTIQUE « des cannibales » , LES ESSAIS de MONTAIGNE

La découverte des Amériques par Christophe Colomb en 1492 révolutionne la vision du monde existant jusqu’alors . La découverte de nouveaux peuples confronte les Européens à l’altérité. Face à ceux –ci , les réactions sont diverses : colonisation, mise en esclavage, ou tentative de compréhension de leurs coutumes. Montaigne, grand humaniste du XVIème siècle va prendre le parti de la connaissance et rechercher à analyser ces nouveaux peuples, sans préjugé. Dans le chapitre XXXI de ses Essais, après s’être interrogé sur la notion de barbarie, il compare les mœurs des Indiens à celles des Européens. Il a eu l’occasion de rencontrer des Indiens du Brésil , en 1562.Nous nous demanderons donc comment Montaigne, en évoquant les coutumes des peuples dits » barbares » amène à réfléchir sur les peuples dits « civilisés ». Dans une première partie , nous montrerons l’apologie du cannibalisme puis dans une seconde partie, nous verrons que s’interroger sur l’autre revient à s’interroger sur soi.

La forme argumentative proposée est donc un essai. Ce terme vient du latin » exagium » qui signifie la pesée. Il s’agit de peser sa pensée, comme sur une balance. Montaigne d’ailleurs fit frapper une médaille qui représentait une balance vide aux plateaux en équilibre portant la devise : « je suspends mon jugement ». Ecrire un essai revient donc à peser sa pensée en la mesurant à celle des autres. Il relève ainsi de la délibération et s’inscrit dans une tradition humaniste inspirée d’auteurs antiques. Montaigne est le premier à employer ce terme comme titre à un ouvrage et invente en ce sens le genre même de l’essai. Pour l’auteur , il ne s’agit pas de convaincre ou de persuader mais plutôt de délibérer : le mouvement même de la pensée est le fondement et le but de l’écriture. L’essai est ainsi une forme d’argumentation directe. L’auteur met en scène une réflexion personnelle, écrite en prose. Pour ce faire, il convoque fréquemment des points de vue adverses qui sont exprimées soit explicitement, soit sous forme de références ou d’allusions ;L’essai engage l’ énonciateur qui utilise le « je ». On retrouve dans cet extrait l’utilisation du pronom personnel sujet « je « dans les expressions : »je ne suis pas fâché » et « je pense qu’il y a plus de barbarie… ». Montaigne s’appuie aussi sur des philosophes grecs du IIIème siècle avant JC , « Chrisiphe et Zénon » , inscrivant en cela son essai dans l’esthétique humaniste : elle s’inspire en effet , des Anciens de l’Antiquité, Grecs et Romains. La citation latine mise en valeur par la typographie : retrait du texte et italiques, de Juvénal , poète satirique du Ier siècle après JC, confirme cette idée. Les Grecs dont on sait qu’ils étaient plein de sagesse permet à Montaigne de donner une légitimité à sa thèse. La référence aux auteurs antiques permet d’assurer la validité d’un propos qui ne doit pas émaner d’une simple personne mais doit trouver sa source dans la tradition littéraire. Grâce à cet argument d’autorité, Montaigne démontre que l’anthropophagie est une pratique noble. L’auteur adopte un mode de raisonnement inductif : il part d’un exemple pour aboutir à une conclusion générale : après avoir fait le récit des combats entre les peuples sauvages, il en vient progressivement à l’énoncé de sa thèse : le rituel cannibale amène Montaigne à un constat paradoxal : « ce n’est pas comme on pense pour s’en nourrir…, c’est pour manifester une très grande vengeance ». Refusant de réduire les violences de ces peuples à des actions barbares, l’auteur leur confère une dimension symbolique et morale.

Pour commencer , Montaigne donne des précisions géographiques des guerres menées par les cannibales : « ils font des guerres contre les nations qui sont au-delà de leurs montagnes, plus loin sur le terre ferme ». Puis il insiste sur le champ lexical de la guerre « guerre( deux fois), armes, épées de bois, arcs, combats » . Le côté didactique de Montaigne apparaît grâce à la comparaison » à la façon des lames taillées de nos épieux », cherchant par ce procédé à faciliter la compréhension du lecteur. Le détail « où ils vont tous nus » marque la volonté ethnographique, tout en montrant une vision traditionnelle du sauvage dans l’imaginaire collectif. Après avoir constaté la dureté de leurs combats ; Le modalisateur « c’est une chose étonnante que la dureté de leurs combats » par lequel il énonce son point de vue, suggère une certaine admiration pour ces peuplades qui ne semblent pas souffrir de la peur « car pour ce qui est de la déroute et de l’effroi, ils ne savent pas ce que c’est ». Ensuite, Montaigne décrit l’acte cannibale : sans le nier, il l’explique des lignes 5 à 14 en relatant les différentes étapes menant à l’exécution des prisonniers. D’abord, Hormis le rituel de la décapitation, en guise de trophée qu’on accroche à « l’entrée de son logis », les prisonniers sont bien accueillis. Une description méliorative de cet accueil est ainsi consignée : « longtemps bien traité leurs prisonniers », « avec tous les agréments auxquels ils se peuvent penser ». Les adverbes « longtemps » et « tous » corroborent cette tradition d’accueil. Ensuite, une sorte de rituel collectif semble s’accomplir. La précision des détails montrent que les sauvages suivent un protocole usuel, confirmant ainsi la dimension cultuelle et culturelle de l’acte qui obéit à une cérémonie des plus élaborées. D’une part, on rassemble les gens : »celui qui en est le maître fait une grande assemblée des gens de sa connaissance », »en présence de toute l’assemblée », ce qui confirme l’idée d’un rituel social. D’autre part, les bras du sacrifié sont attachés à une corde que tiennent le maître et son plus cher ami, privilégié entre tous. Ensuite, ils l’ assomment à coups d’épée. L’euphémisme « cela fait » permet de passer à la suite : l’acte de cannibalisme en lui même,

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