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« Le théâtre est tout votre monde »

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Par   •  15 Juin 2015  •  1 313 Mots (6 Pages)  •  622 Vues

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Chers lauréats, chères lauréates,

Je vais, sans complaisance, me livrer au difficile exercice du discours de bienvenue, de la scène d’exposition de cette longue pièce que sera votre carrière. Je dirai mon morceau obligé, ma tirade, celle des conseils, du « sermon » disent les jeunes… un peu impatients et excédés.

Vous avez une chance immense, vous le savez. Pourquoi ? Parce que vous serez regardés, admirés, adulés parfois, et que tous les yeux seront rivés sur vous. Parce que vous pourrez, dans votre unique existence, vivre plusieurs vies, aimer plusieurs fois, mourir cent fois et toujours renaître… Parce que vous vibrerez d’émotions plus intenses, plus fortes, plus extrêmes que le public qui vous observe… Parce que vous pourrez mettre vos pas dans les traces de monstres sacrés qui vous ont précédés : la Champmeslé, Mlle Mars, Talma ou Frédérick Lemaître, Sarah Bernhardt, Louis Jouvet… Dure concurrence, me direz-vous ; soit, mais le défi vaut la peine d’être relevé.

Acteur, comédien, interprète, illusionniste, magicien mais aussi histrion ? Cabot ? Quoi que vous ayez choisi d’être, vous aurez le pouvoir extraordinaire de faire croire à l’incroyable, de créer le vrai avec le faux, de faire pleurer ou de faire rire, à votre guise… Vous sentirez votre puissance, à vous sans qui un auteur dramatique resterait dans le néant, vous qui faites exister la pièce. Vous vous prendrez parfois pour le créateur, pour Dieu…

Mais, au risque de vous décevoir, je vous dirai que vous n’êtes pas Dieu… vous n’êtes même pas le maître, vous êtes le valet, le serviteur…

Serviteur d’un auteur, d’une œuvre, d’un personnage, d’une troupe, d’un public, de la langue. Et tous ces maîtres impitoyables sauront bien vous rappeler à l’ordre si un jour vous les trahissez… Vous courrez le danger d’être hués, critiqués, accusés de trahison… et l’on ne vous pardonnera pas ces faux pas. Alors comment servir ces divers maîtres, comment éviter qu’ils ne vous châtient ?

Vous êtes les dépositaires d’un patrimoine : des centaines d’auteurs ont légué des milliers d’œuvres en testament ; et c’est à vous de les faire vivre, de leur donner corps. Il vous faudra servir le texte sans le trahir, savoir jouer avec lui, sans outrepasser les limites. Mais où sont ces limites ? À vous d’en avoir l’intuition… Vous devrez sentir si vous pouvez tout accepter du metteur en scène qui vous dirigera, y compris les fantaisies les plus débridées, sous prétexte d’originalité à tout prix, si vous avez le droit de transformer Tartuffe en intégriste musulman, de jouer Cyrano en baskets, de faire de Dom Juan un maffieux sicilien. Oh, certes, Molière ne viendra pas vous faire de remontrances. Non, c’est le public qui vous fera savoir si vous dépassez vos prérogatives…

Car vous êtes des intermédiaires entre le passé de l’auteur et le présent de votre public, et cette fonction exigera de vous que vous sachiez respecter le passé et « adapter » au présent, « interpréter ».

Eh oui, le public lui aussi est votre maître, mais il est insaisissable et multiple : il y a dans la salle l’intellectuel puriste qui connaît par cœur la pièce et chaque mesure de ses alexandrins, et ne supporte par qu’on « trahisse Racine » ; il y a l’adolescent qu’on a forcé à venir avec sa classe, qui voudrait tellement voir « un nouveau Dom Juan » et se moque des anachronismes pourvu qu’il oublie que grâce à vous cette comédie (au fait, est-ce une comédie ? une tragédie ?) figure sur sa liste de Bac ; il y a celui qui a du mal à comprendre la langue du XVIIème siècle, mais qui ne demande qu’à saisir « ce qui se passe » grâce à votre jeu ; il y a celui qui veut simplement « passer une heure ou deux ». Et tous, vous devez les satisfaire, les séduire. Pas de gros plans pour mieux les émouvoir : vous n’avez que votre corps, votre voix, votre présence.

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