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Le roi Lear

Dissertation : Le roi Lear. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  27 Septembre 2022  •  Dissertation  •  1 995 Mots (8 Pages)  •  212 Vues

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Il y a quelques années, j’ai visité le Musée du Louvre. Ma conjointe et moi nous sommes présentés un peu avant l’heure de l’ouverture. Il y avait une centaine de personnes en ligne. J’ai reconnu différentes langues : entre autres, l’espagnol, l’allemand et le mandarin. Bref, des gens de différentes cultures sur le point de voir en vrai des chefs d’œuvres universels. Il y avait une forme de tension dans l’air. Lorsque les guichetiers sont arrivés, une rumeur s’est élevée.

C’est alors que j’ai assisté à un étrange spectacle : une fois passés les tourniquets, plusieurs visiteurs se sont mis à courir, un peu comme s’ils allaient assister à un spectacle où les places ne sont pas réservées. J’ai même vu un homme pousser une vieille femme assise dans un fauteuil roulant à une vitesse inquiétante. J’ai regardé mon amoureuse, interloquée. Elle ne savait pas, non plus, pourquoi il y avait un tel empressement. Lorsque ce fut à notre tour de présenter nos billets, j’ai demandé au guichetier, un adolescent avec quelques poils au menton, pourquoi certaines personnes étaient si pressées. Il m’a répondu, blasé : « C’est Jo. »

J’ai cru qu’il m’avait mal compris. Je me suis rendu compte que l’accent québécois, à Paris, est souvent célébré, mais parfois méprisé. Peut-être qu’il me taquinait. Je n’ai pas insisté et je n’y ai plus repensé.

Ma question a trouvé une réponse quelques heures plus tard : Jo existait vraiment. C’est une femme, une des plus populaires de tous les temps : Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo, mieux connue sous le nom de La Joconde. Peinte par de Vinci en 1503, elle est enchâssée dans un cadre de moins d’un mètre carré accroché à un mur de la salle 711.

Lorsque je suis entrée dans ladite salle, j’ai assisté à une scène d’une tristesse infinie : des dizaines de personnes lui faisaient dos en jouant du coude afin de prendre un égoportrait avec elle. Puis, satisfaits de la photo qu’ils avaient prise, ils quittaient la salle. Sans se retourner pour la regarder avec leurs yeux. Sans lire le panneau descriptif. Sans se recueillir devant cette Beauté. Sans songer un seul instant qu’ils étaient à quelques mètres d’une des œuvres d’art les plus marquantes de l’humanité. Comme si après avoir pris leur cliché, il n’y avait plus rien.

J’ai entendu un guide dire que si un visiteur passait 10 secondes devant chaque œuvre, cela lui prendrait 96 heures pour parcourir tout le Louvre. Quatre jours ! Pour se rendre à La Joconde, ils ont dû ignorer des centaines de peintures qui méritaient chacune au moins quelques minutes d’attention.

Il me semble que cela en dit beaucoup sur la société dans laquelle on vit, celle des applications de vidéos de sept secondes ou moins, des gazouillis de 140 caractères, des pièges à clics, des fake news et de mèmes.

L’être humain 2.0 carbure aux minuscules doses de dopamine que lui procurent ces distractions futiles. Sa capacité de concentration est réduite à sa plus simple expression et devient un vulgaire moyen pour rapporter de l’argent – plus on clique, plus il y a du trafic sur un site sur lequel il y a de la publicité.

Mark Zuckeberg, un des fondateurs de Facebook, a très bien compris cela. En quelques années à peine, il a transformé son site en machine à imprimer des billets en créant des algorithmes faits pour mobiliser l’attention de ses utilisateurs. En parlant du phénomène des romans-feuilletons et de l’assuétude qu’ils provoquaient au 19e siècle, Théophile Gautier parlait de « traquenards d’intérêt[1] ». Cette expression est parfaite pour désigner le phénomène.

L’appétit de l’être humain pour la dopamine est infini. Il n’est jamais rassasié. Il peut vite devenir un junkie de cette hormone. Un « dopaminomane ».

Tout va trop vite et plus rien n’a de sens. C’est la célébration du vide.

Par ailleurs, plusieurs dirigeants de la Silicon Valley limitent de manière stricte l’accès à leurs enfants aux téléphones intelligents et à internet[2]. Qu’ont-ils compris que ce que nous n’avons pas encore saisi ?

Suis-je au-dessus de tout cela ? Pas du tout. Même si je fais des efforts pour ne pas tomber dans ces pièges de la facilité, parfois, j’y mets le pied. Un exemple : la littérature. J’ai lu de grandes œuvres, je m’en enorgueillis parfois, mais les ai-je vraiment comprises ?

Il y a la forme d’une œuvre littéraire – les mots, les chapitres, l’intrigue, les personnages ; c’est l’étape la plus facile à assimiler. Puis il y a le fond : l’histoire derrière l’histoire, les intentions de l’auteur, le contexte historique et j’en passe.

De Vinci était un génie. Un peu moins de cent ans plus tard est apparu un autre génie : Shakespeare.

Je suis honteux de faire sa connaissance si tard dans ma vie. Je n’avais jamais lu et analysé King Lear. Shame on me!

Pourtant, les pièces de Shakespeare, écrites il y a plus de 400 ans (!), sont toujours d’actualité. Le Barde de Stratford a compris tout de la nature humaine et ça me stupéfie.

Comment se fait-il qu’au cours de mon primaire, mon secondaire et mon parcours collégial, je n’ai jamais abordé une de ces œuvres ? Je crois posséder une partie de la réponse : Shakespeare est exigeant. Pour l’apprécier à sa juste mesure, il faut être en pleine conscience. Comme un vin millésimé, Shakespeare se déguste et s’apprécie quand on prend son temps.

C’est pour cette raison que Shakespeare a une valeur aussi grande : le lecteur ou le spectateur doit travailler pour le comprendre. Comme le dit le Chien au Loup dans la fable de La Fontaine : « Point de franche lippée, Tout à la pointe de l’épée[3] ».

Cette expérience au Louvre et cette folie des médias sociaux me rappellent évidemment un des thèmes du Roi Lear : le vide. Lorsque le Roi Lear dit à Cordelia : « Nothing will come of nothing, speak again[4] », il annonce en quelque sorte sa descente en enfer ; effectivement, qu’est un roi sans royaume ?

Ce nothing est, à mon sens, ce que l’on vit aujourd’hui avec les distractions numériques que j’ai mentionnées plus tôt. Loin de moi l’idée de dire que les réseaux sociaux et autres divertissements que l’on retrouve sur internet n’ont que du mauvais. Ils permettent de rassembler des gens, de se divertir, de s’informer, etc. Cela a son utilité : des agoraphobes réussissent à communiquer avec le monde, des gens retrouvent des proches perdus de vue et on a souvent réponse à nos questions instantanément. C’est formidable.

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