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Le masque de la mort rouge, Edgar Poe

Commentaire de texte : Le masque de la mort rouge, Edgar Poe. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  17 Février 2013  •  Commentaire de texte  •  2 219 Mots (9 Pages)  •  1 232 Vues

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LE MASQUE DE LA MORT ROUGE,

par Edgar ALLAN POE

Traduction de Charles BAUDELAIRE

La Mort Rouge avait pendant longtemps dépeuplé la contrée. Jamais peste ne fut si

fatale, si horrible. Son avatar, c'était le sang, la rougeur et la hideur du sang. C'étaient

des douleurs aiguës, un vertige soudain, et puis un suintement abondant par les pores,

et la dissolution de l'être. Des taches pourpres sur le corps, et spécialement sur le

visage de la victime, la mettaient au ban de l'humanité, et lui fermaient tout secours et

toute sympathie. L'invasion, le résultat de la maladie, tout cela était l'affaire d'une

demi-heure.

Mais le prince Prospero était heureux, et intrépide, et sagace. Quand ses domaines

furent à moitié dépeuplés, il convoqua un millier d'amis vigoureux et allègres de coeur,

choisis parmi les chevaliers et les dames de sa cour, et se fit avec eux une retraite

profonde dans une de ses abbayes fortifiées. C'était un vaste et magnifique bâtiment,

une création du prince, d'un goût excentrique et cependant grandiose. Un mur épais et

haut lui faisait une ceinture. Ce mur avait des portes de fer. Les courtisans, une fois

entrés, se servirent de fourneaux et de solides marteaux pour souder les verrous. Ils

résolurent de se barricader contre les impulsions soudaines du désespoir extérieur et de

fermer toute issue aux frénésies du dedans. L'abbaye fut largement approvisionnée.

Grâce à ces précautions, les courtisans pouvaient jeter le défi à la contagion. Le monde

extérieur s'arrangerait comme il pourrait. En attendant, c'était folie de s'affliger ou de

penser. Le prince avait pourvu à tous le moyens de plaisir. Il y avait des bouffons, il y

avait des improvisateurs, des danseurs, des musiciens, il y avait le beau sous toutes ses

formes, il y avait le vin. En dedans, il y avait toutes ces belles choses et la sécurité. Audehors,

la Mort Rouge.

Ce fut vers la fin du cinquième ou sixième mois de sa retraite, et pendant que le fléau

sévissait au-dehors avec le plus de rage, que le prince Prospero gratifia ses mille amis

d'un bal masqué de la plus insolite magnificence.

Tableau voluptueux que cette mascarade! Mais d'abord laissez-moi vous décrire les

salles où elle eut lieu. Il y en avait sept, une enfilade impériale. Dans beaucoup de

palais, ces séries de salons forment de longues perspectives en ligne droite, quand les

battants des portes sont rabattus sur les murs de chaque côté, de sorte que le regard

s'enfonce jusqu'au bout sans obstacle. Ici, le cas était fort différent, comme on pouvait

s'y attendre de la part du duc et de son goût très vif pour le bizarre. Les salles étaient si

irrégulièrement disposées que l'oeil n'en pouvait guère embrasser plus d'une à la fois.

Au bout d'un espace de vingt à trente yards il y avait un brusque détour, et à chaque

coude un nouvel aspect. A droite et à gauche, au milieu de chaque mur, une haute et

étroite fenêtre gothique donnait sur un corridor fermé qui suivait les sinuosités de

l'appartement. Chaque fenêtre était faite de verres colorés en harmonie avec le ton

dominant dans les décorations de la salle sur laquelle elle s'ouvrait. Celle qui occupait

l'extrémité orientale, par exemple, était tendue de bleu, et les fenêtres étaient d'un bleu

profond. La seconde pièce était ornée et tendue de pourpre, et les carreaux étaient

pourpres. La troisième, entièrement verte, et vertes les fenêtres. La quatrième, décorée

d'orange, était éclairée par une fenêtre orangée, la cinquième, blanche, la sixième,

violette.

La septième salle était rigoureusement ensevelie de tentures de velours noir qui

revêtaient tout le plafond et les murs, et retombaient en lourdes nappes sur un tapis de

même étoffe et de même couleur. Mais, dans cette chambre seulement, la couleur des

fenêtres ne correspondait pas à la décoration. Les carreaux étaient écarlates, d'une

couleur intense de sang.

Or, dans aucune des sept salles, à travers les ornements d'or éparpillés à profusion çà et

là ou suspendus aux lambris, on ne voyait de lampe ni de candélabre. Ni lampes, ni

bougies; aucune lumière de cette sorte dans cette longue suite de pièces. Mais, dans les

corridors qui leur servaient de ceinture, juste en face de chaque fenêtre, se dressait un

énorme trépied, avec un brasier éclatant, qui projetait ses rayons à travers les carreaux

de couleur et illuminait la salle d'une manière éblouissante. Ainsi se produisait une

multitude d'aspects chatoyants et fantastiques. Mais dans la chambre de l'ouest, la

chambre noire, la lumière du brasier qui ruisselait sur les tentures noires à travers les

...

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