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Le Théâtre Est-il Une Représentation Fidèle Ou Une Vision déformée Du Monde ?

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Par   •  11 Janvier 2013  •  2 773 Mots (12 Pages)  •  1 748 Vues

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Il est difficile de s’interroger sur l’art sans poser la question de son rapport au monde. Dès le IVe siècle avant Jésus-Christ, Platon, puis Aristote, se sont demandé quels sont le fonctionnement de l’imitation en art et le fondement de sa légitimité. Platon condamne l’art, parce qu’il n’est qu’une copie du réel, et par là un mensonge qui éloigne l’homme du vrai. Aristote le défend au contraire, parce que l’imitation, dans l’art, plus que reproduction du réel, est révélation sur le monde, et permet ainsi la guérison de l’homme. Ce n’est sans doute pas un hasard si la réflexion sur l’art d’Aristote porte tout particulièrement sur le théâtre, auquel il a consacré un ouvrage, La Poétique. Le théâtre pose en effet de manière particulièrement cruciale la question de son rapport au monde : le théâtre est-il une représentation fidèle ou une vision déformée du monde ? Cet art a en effet, au sein de la littérature, la particularité de « représenter », c’est-à-dire de « rendre présent » par l’intermédiaire d’un « spectacle », qui place quelque chose sous un « regard », et propose de ce fait une « vision ». Les questions sont alors multiples : quelle est cette chose qui est rendue présente, montrée lors de la représentation ? Qui sont celui qui montre, celui qui regarde ? Quelle est en définitive la nature de ce regard, sa fonction, son effet ? Le théâtre entretient sans aucun doute un rapport privilégié avec le réel, qui est ce qui est représenté sur la scène. Mais cette représentation ne saurait avoir lieu sans le filtre que constitue le double regard de celui qui crée le spectacle et de celui qui y assiste. Ainsi l’art théâtral passe-t-il par une nécessaire déformation du réel, qui n’est peut-être que la tentative pour donner forme au monde, envisagé non comme objet mais comme devenir.

Le théâtre est en quelque sorte, plus encore que le roman où la poésie, le miroir du réel.

En effet, parmi les différents genres littéraires, et même parmi les différents arts, il est le seul à atteindre l’épaisseur physique, vivante du réel. Le roman est un objet, fait de pages reliées, destiné à la lecture silencieuse et individuelle : l’histoire ne s’y peut représenter que dans l’imagination, la rêverie du lecteur. La poésie est une voix, une musique, qui s’élève seule sans être mise en acte. Elle ne représente que de manière indirecte, elle figure le monde, et par là le transforme. Le théâtre au contraire n’existe que dans la représentation physique, dans l’incarnation des voix dans des corps en mouvement. Mieux encore : ces corps évoluent dans un décor, ils ont des vêtements, tiennent des objets, s’assoient sur des sièges, habitent un espace. Les dramaturges et metteurs en scène ont toujours prêté beaucoup d’attention au décor, aux accessoires, aux costumes, toutes choses réelles qui ancrent le spectacle dans le monde. Pour représenter le dernier acte du Songe d’une Nuit d’Eté de Shakespeare, il faut un « palais », celui de Thésée. On imagine également des sièges, dignes d’un roi et d’une reine le jour de leur mariage, puis d’autres, pour les invités. Il est besoin également de « trompettes » pour la fanfare, et même d’un « papier », précise l’auteur dans une didascalie. A cela il est nécessaire d’ajouter les multiples costumes, conformes à la fonction des personnages, roi, reine, nobles, danseurs, et les acteurs eux-mêmes, qui prêtent leurs corps, leur visage, leur voix et leurs gestes aux personnages qu’ils incarnent pour quelques heures.

Ainsi le théâtre nous plonge-t-il plus qu’aucun autre art au cœur même du réel, de sa matérialité, de son épaisseur vivante et concrète. De plus, une grande partie de la production théâtrale a pour visée une approche réaliste du monde : le théâtre se donne alors pour but de représenter le réel, non seulement dans sa matière, mais aussi dans son organisation et son fonctionnement. Georges Forestier, dans son ouvrage Le théâtre dans le théâtre, souligne la visée réaliste des comédies de comédiens au début du XVIIe siècle : il s’agit bien de reproduire le réel, jusque dans sa trivialité. Ainsi voit-on par exemple dans L’Illusion Comique les comédiens de la troupe de Clindor compter leur argent à l’acte V. Le dramaturge s’attache ici à un détail concret du fonctionnement de la société de son temps : il peint le monde social dans sa plus grande vérité, pour le représenter, le montrer tel qu’il est. Cet élément a pour fonction dans la pièce d’amorcer le retour au réel de Pridamant. Sa réplique, « Que vois-je ! chez les morts compte-t-on de l’argent ? », souligne l’importance du détail trivial pour manifester la réalité de ce qui se passe sur scène, la vie bien réelle des personnages qu’il contemple.

La représentation fidèle du réel est donc un enjeu majeur du théâtre. C’est même une condition nécessaire de sa réussite. Le public a besoin, pour jouir du spectacle, de croire en ce qui lui est montré. Il faut également qu’il reconnaisse le réel sur la scène, et ce, dès les premières minutes de la représentation. Sans cet effet de reconnaissance, il ne peut se laisser prendre par l’action et ressentir de réelles émotions. C’est bien l’un des problèmes qui se posent à la troupe de Bottom, lorsqu’elle cherche à mettre en scène la tragique histoire de Pyrame et Thisbé dans Le Songe d’une Nuit d’Eté : les spectateurs pourront-ils croire en l’amour des deux jeunes gens, s’il n’est pas de mur pour les séparer, et de faille dans ce mur pour qu’ils s’entretiennent ? pourront-ils croire à la réalité de leurs rendez-vous nocturnes, s’il n’est pas de clair de lune pour les baigner de leur lumière ? Malgré toute leur maladresse et leur ignorance, les apprentis comédiens retrouvent ici une expérience essentielle du spectateur de théâtre : le spectateur, de la salle, attend que lui soit présentée sur la scène une histoire à laquelle il puisse croire, qui ait toute l’apparence du vrai, du réel, pour qu’il puisse éprouver des émotions véritables, rire, pitié, colère, terreur, et participer ainsi à l’émotion théâtrale.

Le théâtre rend présent le réel, parce qu’il est un art incarné, parce que les auteurs se donnent bien souvent une visée réaliste, parce que le spectateur a besoin de croire en la réalité de ce qui lui est présenté. Néanmoins, s’il y a bien une « représentation » du monde au théâtre, celle-ci ne peut se faire qu’à travers un double filtre, celui des regards que posent, d’une part l’auteur et le metteur en scène, d’autre part le spectateur, sur le spectacle.

La scène de théâtre est un

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