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Le Roman Est-il « Une Feinte Pour Tenter D'échapper à L'intolérable » Comme L'affirme Romain Gary ?

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Par   •  11 Mars 2013  •  2 057 Mots (9 Pages)  •  2 297 Vues

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Le genre romanesque se fonde souvent sur un paradoxe : il se nourrit essentiellement du réel, mais, par le biais de l'écriture, il tire sa force et sa richesse de la fiction, qui lui autorise toutes les audaces. Ce potentiel illimité d'exploration, mais aussi de contestation du monde réel, Romain Gary affirme qu'il est à l'origine de sa vocation d'écrivain : pour lui, la création littéraire est « une feinte pour tenter d'échapper à l'intolérable ». Ce rôle qu'assigne l'écrivain à la littérature est-il applicable au genre romanesque en particulier ? Peut-on dire que le roman cherche toujours, par la « ruse » de l'écriture, et dans sa capacité à nier le réel, à fuir la réalité dans ce qu'elle a d'insupportable, de critiquable ? Nous verrons dans un premier temps que certains genres romanesques cherchent, en effet, à contester la réalité en la déformant. Nous verrons ensuite que, la fiction romanesque peut également, par la « feinte », s'emparer de l'intolérable. Enfin, nous nous demanderons si, dans sa dimension artistique, le roman n'a pas la capacité à dépasser l'intolérable.

La lecture de romans est en soi une forme de voyage qui nous permet de nous évader de la réalité du monde. Ce motif du voyage structure nombre de récits de fiction. Par le biais de l'écriture, le romancier peut ainsi nous projeter dans un ailleurs géographique et temporel. Le roman d'aventures, à cet égard, illustre bien cette capacité de la fiction à faire perdre au lecteur le contact avec la réalité du monde. Beaucoup d'écrivains reconnaissent d'ailleurs que leur vocation littéraire est née de cette découverte des pouvoirs du roman à nous faire oublier une situation difficile. Dans L'Enfant, roman autobiographique de Jules Vallès, le narrateur raconte comment il oublia qu'on l'avait enfermé, par punition, dans une salle de classe : il était tellement absorbé par la lecture de Robinson Crusoé qu'il n'avait pas vu le temps passer, ni senti sa faim. Cette capacité de s'évader de soi par la lecture, ou bien encore l'écriture de romans d'aventures, l'écrivain Jean-Paul Sartre dit l'avoir éprouvée dans son autobiographie intitulée Les Mots. Lorsque, enfant, il se voyait méprisé par ses pairs qui refusaient de jouer avec lui, il montait dans sa chambre et se vengeait de son humiliation « par le massacre de cent reîtres ».Les romans dominés par le voyage et l'exotisme présentent des situations souvent inextricables et dangereuses, mais presque toujours résolues par des héros inventifs et audacieux. Dès lors, le lecteur peut se sentir, au moins temporairement, par la magie de l'illusion romanesque, immergé dans un monde où le danger n'est jamais intolérable, en ce qu'il est un moyen d'avancer vers une situation plus acceptable. Le roman d'aventures organise donc le réel pour le rendre plus « tolérable ».

Les romans sentimentaux occupent une large part de la littérature romanesque. Contrairement aux romans d'aventures, ils donnent de la réalité une image déformée et idéalisée, à travers des intrigues dans lesquelles le monde matériel semble n'avoir aucun pouvoir sur les êtres qui l'habitent. Le caractère épistolaire de certains de ces romans au XVIIIe siècle est d'ailleurs là pour mettre à distance la réalité des choses au profit d'une analyse détaillée des mouvements de la passion.. Ce type de littérature, héritée du roman pastoral, reflète une sensibilité préromantique, à travers laquelle se dessine une certaine nostalgie de l'âge d'or, d'un Éden mythologique qui n'est, au fond, que le temps béni de l'enfance heureuse. Mais ces récits idylliques de paradis perdus, cette « feinte » pour tenter d'échapper, sinon à l'intolérable, du moins à la banalité de sa propre existence, peut « contaminer » les âmes les plus fragiles. Dans Madame Bovary, l'héroïne passe son enfance à dévorer des romans d'amour de princes charmants . Lorsque la réalité, dans son âge adulte, la rattrape, c'est alors que la vie ordinaire et les soucis du quotidien lui deviennent proprement insupportables et la conduisent au suicide. La fiction romanesque, en proposant un monde idéalisé, utilise donc à plein sa capacité d'illusion et peut nous faire échapper, parfois jusqu'à nous faire perdre pied, à la réalité du monde. Toutefois, le romancier, par les « feintes » que lui permet la fiction, peut au contraire choisir d'affronter ce qui est intolérable.

Le roman, genre fictionnel par nature, n'est théoriquement pas encadré par des règles strictes de vraisemblance, pourvu que le pacte implicite entre le narrateur et le lecteur, ainsi que les codes propres au genre soient respectés. Aussi le romancier peut-il en profiter pour mettre la puissance de son imagination au service de la critique sociale. Avec Candide, classé comme un « conte philosophique », Voltaire utilise pourtant nombre des ressources du roman pour mettre en scène les mésaventures du jeune Candide, héros naïf et optimiste chassé de son « paradis terrestre » et confronté à toutes les horreurs de l'humanité. Par ce biais, le narrateur peut, en l'espace d'un chapitre, faire voyager son personnage d'Europe en Amérique du Sud. Au moyen de ces « ruses » fictionnelles, il ne faut pas plus d'une centaine de pages à Voltaire pour dénoncer successivement la guerre, le fanatisme religieux, l'intolérance, la superstition ou encore l'esclavage. De plus, la fiction est un voile commode pour déjouer la censure : ce n'est pas l'auteur qui critique directement, mais des faits imaginaires qui se chargent de représenter au lecteur des réalités inadmissibles. Les romans dits d'apprentissage utilisent des moyens assez semblables, quoique plus discrets. Le héros, porteur d'idéaux et d'illusions, est confronté à des personnages plus ou moins recommandables qui, le plus souvent, les détruisent les uns après les autres. Dans Illusions perdues de Balzac, Lucien de Rubempré, jeune « poète de province » au talent et à la beauté certains, va se heurter violemment à la réalité du grand monde parisien, mais aussi aux fourberies de l'univers de la presse et de l'édition. Comme le suggère le titre, Illusions perdues illustre cette possibilité qu'offre la fiction romanesque de mettre en scène un idéaliste broyé inexorablement par une impitoyable société. La littérature, notamment réaliste, est donc aussi un moyen non pas d'échapper à l'intolérable, mais de regarder l'intolérable sous tous ses aspects.

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