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Le Jeu De La Feuillée

Mémoires Gratuits : Le Jeu De La Feuillée. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  11 Décembre 2012  •  2 167 Mots (9 Pages)  •  998 Vues

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Roginski

Tom

TD3

Le Jeu de la Feuillée

Cet extrait du Jeu de la Feuillée constitue le dénouement de l'histoire : arrivés dans une taverne, les personnages ont bu et joué aux dés. Ensuite, le moine s'étant endormi, ils décident de lui jouer un tour en lui faisant payer les dettes, tandis qu'en parallèle, se dresse un conflit entre le dervé et son père. A travers ce passage, les protagonistes se livrent au burlesque, jouant sur des inversions de rôles, de renversements de valeurs.

Comment, à travers le dénouement de son jeu, Adam de Halle dresse-t-il une critique des moeurs de son temps?

Nous verrons en quoi la taverne apparaît comme un lieu de rencontre entre sacré et profane, et une représentation des travers d'Arras, une société en perte de repères.

Si, dans les pièces qui ont influencé Adam de Halle, telles que Courtois d'Arras ou Le jeu de Saint Nicolas, l'épisode de la taverne constitue une étape importante pour les personnages, un obstacle qu'il convient de franchir, elle occupe ici une place véritablement centrale. En effet, la taverne est le dernier lieu où se déroule l'action, elle représente le point de chute des protagonistes : c'est un microcosme de la population Arajeoise, où se dévoilent les travers de la société. Le registre le plus récurent de cette scène, est, de loin, le sacré, omniprésent tant dans les dialogues que dans les actions, et incarné par la figure du moine. Seulement, le caractère pieux du personnage, de ses reliques, entre en opposition avec ce lieu, la taverne, endroit d'excès et de débauche par excellence. Cette confrontation des deux univers, l'un solennel et austère, l'autre burlesque et trivial, est source de comique, de dérision, et provoque une importante désacralisation.

Le moine, emblème de la sainteté, est, dès le début de l'extrait, tourné en ridicule. En effet, il s'est laissé berner par les autres personnages, et en est réduit à devoir mettre ses reliques sacrées en gage, pour pouvoir rembourser ses dettes. Les autres protagonistes se jouent de lui, le ridiculisent, si bien que, lorsqu'il laisse ses reliques à l'aubergiste, ce dernier répond « Alés, bien sont en sauve main », ce qui apparaît clairement comme une marque d'ironie, car les termes sont décrédibilisés par le statut du locuteur, un tenancier de bar. Cette remarque est rehaussée par celle de Guillot, « Oui, par Dieu! », qui, en plus de se moquer du moine, jure sur le tout puissant. Ensuite, l'aubergiste continue en invitant les ivrognes à prêcher, dans sa réplique clairement ironique et décalée, utilisant la formule oxymorique « Je vous pri que chascuns recane et fache grant sollempnité », associant « recane », traduit par « braire », et « sollempnité », « solennellement ». Cette forme de déshumanisation, de rapprochement des prieurs à des ânes, a été perçue par le critique Jean Dufournet comme « une parodie du jeu liturgique, du sermon, des chants d'Eglise, qui rappelle la fête des fous, de l'âne (…) où la taverne fait fonction d'église, l'aubergiste de prêtre, au demeurant peu respectueux des reliques, le vin d'eau bénite, où une chanson courtoise, braillée à pleine gorge, remplace cantiques et psaumes ». De manière triviale, les personnages rabaissent la religion, la relèguent au commun, au populaire. Et s'ils emploient régulièrement le terme de « Dieu », c'est quasi systématiquement de manière déplacée, ou comme un juron, « Diex! », « Foi que doi Dieu », « Pour l'amour de Dieu », « Biau sire Diex », « Par le mort Dieu ». A l'opposé de ces buveurs, ces trompeurs qui utilisent un langage « pieux », le moine, lui, emporté par sa colère, utilise deux fois le mot « dyable » . De plus, dans cette dernière réplique, « dyable m'en porche » trouve sa rime dans le « forche » de l'aubergiste, ce qui n'est pas sans rappeler la fourche, objet de torture emblématique du malin. Ce renversement des fonctions, du passage de l'homme à l'animal, du sacré au profane, s'inscrit clairement dans une optique carnavalesque, dans une inversion des valeurs. Pour pouvoir rembourser sa dette, il en est même réduit à devoir mettre ses reliques en gage. Aussi, le motif saint est-il relégué à un simple objet de marchandage, à une monnaie d'échange, « Vous vous êtes enrichi à mes dépends ». Le moine associe constamment, et ce depuis sa première réplique dans la pièce, vers 322, la religion et la richesse. Le champ lexical de l'argent, du profit, est omniprésent dans notre extrait : dès la première tirade, nous trouvons trois occurrences, « preu », « riques », « racaterai », puis, « pilliét », « riques », « XII saus ». Il y a donc un parallèle établit entre le langage religieux, d'un côté, et le langage du profit, de l'autre. Cette association de la religion à l'argent est renforcée par les rimes, qui couplent deux fois « reliques » et « riques », aux vers 1064-1065. Mais si le moine est avare, les autres personnages de la taverne ne sont pas en reste. Lorsque Guillot, au vers 1077, propose à ses compagnons d'aller prier à Notre Dame, cela pourrait sembler d'un premier abord, bénéfique, signe d'un repentir, cependant, le dernier vers de sa réplique, « No cose nous en venra miex », renverse le discours, et montre que cet acte, apparemment pieux, n'est en vérité motivé que par l'appât du gain. Adam de la Halle peint une société dans laquelle la religion ne sert que des désirs égoïstes et mercantiles, où elle est reléguée à des biens matériels, plutôt que spirituels.

En plus d'être reléguée au trivial et au marchandage, la religion apparaît aussi comme faible, inefficace et dénuée de merveilleux. Le personnage du moine, qui s'était présenté de manière pompeuse et grandiloquente au début du jeu, vers, est ici rabaissé et impuissant. Cette décadence du sacré est particulièrement visible à travers le motif du silence, du sommeil. En effet, à chaque fois qu'un problème délicat est abordé, le moine se tait ou bien s'endort, pour éviter d'avoir à intervenir : il ferme littéralement les yeux sur les pratiques condamnées par l'église, telles que l'ivresse dans la taverne, ou, plus tôt, le rituel paien de la féerie. Il apparaît comme un personnage lâche, incapable de se défendre, qui n'a pas non plus le courage d'accuser ouvertement ses détracteurs,

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