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La Science Peut Tout Expliquer

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Par   •  10 Mars 2014  •  4 941 Mots (20 Pages)  •  1 121 Vues

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que chose ?

Un soir, il y a quelques années, à l'université du Texas, avec des collègues enseignants nous avons présenté à un groupe d'étudiants le travail dans nos disciplines respectives. J'avais axé mon exposé sur les immenses progrès que nous, les physiciens, avions accomplis dans l'explication des connaissances expérimentales sur les champs et les particules élémentaires. Je leur ai raconté comment, lorsque j'étais étudiant, j'avais dû apprendre un grand nombre de faits isolés concernant les particules, les forces et les symétries ; comment, entre le milieu des années 1960 et le milieu des années 1970, tous ces faits isolés avaient été expliqués grâce à ce que l'on appelle aujourd'hui le Modèle standard de la physique des particules ; comment nous avions découvert que tous ces faits isolés concernant les particules et les forces pouvaient être déduits mathématiquement de quelques principes relativement simples ; et comment tous les physiciens avaient alors poussé un grand « Ah ! » collectif.

Lorsque j'ai eu terminé, un collègue scientifique, mais pas physicien des particules ajouta un commentaire : « Bien entendu, vous savez que la science n'explique pas vraiment les choses : elle se contente de les décrire. » J'avais déjà entendu cette affirmation auparavant, mais cette fois elle m'a décontenancé, parce que je trouvais que nous avions plutôt bien réussi à expliquer, et pas seulement à décrire, les propriétés des particules élémentaires et des forces que nous avions observées.

Je crois que la remarque de mon collègue tirait son origine dans une sorte d'angoisse existentielle positiviste qui s'est répandue parmi les épistémologistes pendant l'entre-deux-guerres. Ludwig Wittgenstein* avait par exemple déclaré : « A l'origine de notre conception moderne du monde se trouve l'illusion que les soit-disant lois de la Nature expliquent les phénomènes naturels . »

On aurait pu croire qu'il suffisait de découvrir la cause d'un fait pour expliquer celui-ci. Mais en 1913, dans un article qui a fait date, Bertrand Russell* avait défendu le point de vue que « le mot "cause" est si intimement lié à des associations trompeuses qu'il serait souhaitable de l'exclure définitivement du vocabulaire philosophique 1. » Cela ne laissait plus à des philosophes comme Wittgenstein qu'une seule solution pour distinguer explication et description, et cette solution était téléologique : on a expliqué un fait lorsque l'on a montré qu'il a une finalité.

Le roman Monteriano d'E.M. Forster donne un exemple de distinction téléologique entre description et explication. Philip essaie de comprendre pourquoi son amie Caroline a encouragé le mariage de la soeur de Philip avec un jeune Italien, ce que la famille de Philip désapprouve. Après que Caroline lui a fait le récit des conversations qu'elle a eues avec sa soeur, Philip lui répond : « Ce que tu m'as fourni, c'est une description, pas une explication . » Nous comprenons bien ce que Philip entend par là : en demandant une explication, il veut connaître la motivation de Caroline. Les lois de la nature sont dépourvues de motivation, et dans l'ignorance d'un autre moyen de différencier description et explication, Wittgenstein et mon collègue ont conclu que ces lois ne pouvaient avoir valeur d'explication. Parmi ceux qui prétendent que la science décrit mais n'explique pas, certains essaient peut-être aussi de la comparer défavorablement avec la théologie, qui selon eux, explique les choses en faisant référence à un dessein divin, ce que refuse la science.

Ce type de raisonnement me paraît erroné, sur le fond, mais aussi sur la forme. Les philosophes, ni qui que ce soit d'autre, n'ont pas à imposer que les mots prennent un sens différent de leur sens commun. Au lieu de répondre que les scientifiques se trompent lorsqu'ils déclarent, ce qu'ils font souvent, que leur travail consiste à expliquer les choses, les philosophes qui s'intéressent au sens du terme « explication » en sciences devraient plutôt s'efforcer de comprendre ce que font les scientifiques lorsqu'ils affirment qu'ils expliquent quelque chose. Si je devais donner une définition a priori de l'explication en physique, je dirais que « l'explication en physique est ce que les physiciens ont fait lorsqu'ils s'exclament "Ah" ! » . Mais les définitions a priori y compris celle-ci ne sont guère utiles.

A ma connaissance, les épistémologistes l'ont bien compris depuis au moins la Seconde Guerre mondiale. Des philosophes modernes, tels Peter Achinstein, Carl Hempel, Philip Kitcher et Wesley Salmon ont beaucoup écrit sur la nature de l'explication. D'après ce que j'en ai lu, il me semble qu'ils considèrent désormais ce sujet sous le bon angle en s'efforçant de répondre à la question : « Que font les scientifiques lorsqu'ils expliquent quelque chose ? », en considérant réellement ce que les scientifiques font lorsqu'ils affirment qu'ils expliquent quelque chose.

Explications nécessaires. Les scientifiques qui se consacrent aux sciences pures plutôt qu'aux sciences appliquées déclarent généralement au public et aux organismes qui les financent que leur mission consiste à expliquer un fait ou un autre. Il est donc aussi important pour eux que pour les philosophes de définir clairement ce qu'est une explication. Comme les épistémologistes ont toujours eu des difficultés à déterminer ce que signifie l'explication d'un événement Wittgenstein faisait référence aux « phénomènes naturels », cette tâche me paraît légèrement plus facile pour la physique et la chimie que pour d'autres sciences : les physiciens s'attachent à l'explication de régularités, de principes physiques, et pas d'événements isolés.

Les biologistes, les météorologues, les historiens, entre autres, recherchent les causes d'événements isolés, tels que l'extinction des dinosaures, le blizzard qui frappa la Nouvelle-Angleterre en 1888 ou encore la Révolution française. En revanche, un physicien ne s'intéresse à un événement particulier, par exemple le brouillage, en 1897, des plaques photographiques que Becquerel avait laissées près de sels d'uranium, que lorsque ledit événement révèle une régularité de la nature, en l'occurrence l'instabilité de l'atome d'uranium. Philip Kitcher a essayé de ressusciter l'idée que la façon

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