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L'étranger De Charles Baudelaire dans "Petits poèmes en prose"(1869)

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Par   •  15 Novembre 2013  •  1 935 Mots (8 Pages)  •  4 821 Vues

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‘’L’étranger’’

de Charles BAUDELAIRE

dans

‘’Petits poèmes en prose’’ (1869)

Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère? - Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère. - Tes amis? - Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu. - Ta patrie? - J'ignore sous quelle latitude elle est située. - La beauté? - Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle. - L'or? - Je le hais comme vous haïssez Dieu. - Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger? - J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages ! Commentaire

Le texte se présente sous la forme d’un dialogue, sans que ce soit du théâtre puisque le nom des locuteurs ne nous est pas fourni, et qu’on n’a pas sur eux de réels renseignements. Ce dialogue se déroule entre deux inconnus dont l’un, appelons-le le questionneur, cherche à percer le mystère de l’identité de

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l’autre qui est qualifié «homme énigmatique», le mot signifiant qu’il est un être singulier, qui intrigue, qui maintient une distance avec les autres, qui semble être celui qui ne joue jamais le jeu, qu’on ne peut pas ancrer quelque part, qui est difficile à comprendre, qui suscite justement les interrogations que lui fait la voix sociale.

Le déroulement : Le questionneur, qui tutoie son interlocuteur, lui pose d’abord, avec bienveillance et courtoisie, en usant de cette marque de l'oralité, «dis?», qui est une expression familière explétive mais incitative, une question quelque peu étonnante car elle porte sur ceux qu’il aime, en supposant d’emblée qu’ils doivent être les membres de sa famille, ceux qui pourraient le rattacher à la communauté, et dont il croit nécessaire d’énumérer une liste qui va de soi. L’interrogé répond négativement, en reprenant avec détermination les termes du questionneur dans le même ordre, cette symétrie, où à la répétition des adjectifs possessifs répond le martèlement des «ni», semblant indiquer un agacement plutôt que l’insistance sur une solitude qui serait pathétique. En fait, il ne faut pas prendre cette réponse littéralement : il est impossible que l’«homme énigmatique» n’ait pas de père et de mère. Il affirme plutôt une ignorance totale ou, mieux, un rejet total de la famille, par révolte ou refus de l'emprisonnement dans la «cellule» familiale.

De ce fait, les autres questions de l’interrogateur, chez qui on peut supposer une certaine irritation, se font ensuite elliptiques, brutales, dans des phrases de plus en plus lapidaires, raccourcies jusqu'au monosyllabe.

Le questionneur s’enquiert des «amis», supposant peut-être qu’étant choisis par affinités, ils peuvent supplanter la famille qui, elle, n’est pas choisie. Dans sa deuxième réponse, l’«homme énigmatique» vouvoie l’interrogateur : il refuse donc la familiarité, désire maintenir une distance entre lui et les autres, et, en particulier entre lui et le questionneur. Mais, dans une phrase comportant une tournure complexe («une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu», «parole» étant employé à la place de «mot», pour rendre la notion d’amitié abstraite, virtuelle, jamais perçue dans la chair et le cœur), il allègue poliment une autre ignorance. Le ton emphatique pourrait cacher un désarroi profond, et «jusqu'à ce jour» indiquer qu’un espoir subsiste malgré tout. Le questionneur employant plutôt que «pays» le mot «patrie» parce qu’il implique un fort lien affectif et pas seulement un lieu de naissance, le questionné déclare ne pas connaître sa patrie officielle, qui, elle aussi, n’a pas été choisie. Elle est, en fait, refusée, ce qui fait donc de «l’homme énigmatique» celui qui ne vient de nulle part, qui n'a pas d'origine, pas de généalogie, pas d'histoire. Cependant, dans une formule de nouveau quelque peu rhétorique, il laisse ouverte la possibilité d’en trouver une, qui lui plairait plus, quelque part sur la surface de la Terre, à n’importe quelle «latitude», ce qui permet d’ailleurs d’envisager un voyage, une évasion.

Des attachements d'ordre affectif que l’interrogé pourrait avoir, le questionneur passe à des valeurs sociales reconnues qui sont désignées par l'article défini.

Ainsi, si «l’homme énigmatique» semble sans lien social, peut-être est-il un esthète? Le questionneur évoque donc «la beauté». L’autre ne la refuse pas, mais la voudrait soumise à une haute exigence : il faudrait qu’elle soit «déesse et immortelle», ce qui est quelque peu redondant mais correspond bien à l’idéal que Baudelaire avait défini dans son poème des ‘’Fleurs du mal’’ ‘’La Beauté’’ («Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre […] Je trône dans l’azur») ou dans le poème en prose ‘’Le fou et la Vénus’’ («l’immortelle Déesse […] l’immortelle Beauté !»). Mais «je l'aimerais», qui est accentué par l'adverbe modalisateur «volontiers», traduit bien l'impossibilité d’atteindre un tel idéal.

D’ailleurs, de l’évocation de cet idéal, le questionneur passe brutalement à son antithèse, mais qui est peut-être ce qui lui importe le plus à lui : «l'or», la richesse qui implique la puissance.

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La gradation étant nette, la réponse du questionné est violente, par une antithèse tranchée oppose «Je le hais» à «Qui aimes-tu le mieux». La réponse devient même, comme pour prévenir une question possible et qu’il ne faut surtout pas lui poser, une attaque contre le questionneur auquel est prêtée curieusement, sans aucune justification, une haine de «Dieu», alors qu’il n’est guère vraisemblable que «l’homme énigmatique» l’aime : cela lui ferait rejoindre la foule.

Aussi, dans la dernière question, la seule qui soit ouverte, qui laisse au répondeur une initiative, qui s'étire à nouveau, comme le questionneur prend conscience de l'impossibilité de l'étranger à aimer quoi que ce soit, apparaît son impatience, son irritation, qui sont signifiées nettement par ces autres marques de l'oralité, «Eh !» et «donc». Le qualificatif «extraordinaire étranger» fait écho à l’«homme

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