LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

L'écume Des Jours

Compte Rendu : L'écume Des Jours. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  20 Juin 2013  •  2 238 Mots (9 Pages)  •  3 980 Vues

Page 1 sur 9

L’écume des jours (Boris Vian)

La dimension tragique d’un roman d’amour

vendredi 23 novembre 2007, par Clair de Plume

L’écume des jours parait pour la première fois en avril 1947. A l’époque, le livre ne se vendit pas. A partir des années 60, il devint pourtant un roman culte.

L’œuvre de Boris Vian est toute entière empreinte d’insolite et d’absurde. L’écume des jours ne fait pas défaut à ce constat.

L’action se situe à Paris, car il s’agit bien de Paris, ainsi que le montre le monologue intérieur de Colin réfléchissant à l’endroit où il va emmener Chloé se promener : « Pas à l’hôpital Saint-Louis, c’est défendu. Pas au musée du Louvre, il y a des satyres derrière les chérubins assyriens. Pas à la gare Saint-Lazare, il n’y a plus que des brouettes et pas un seul train ». C’est un Paris méconnaissable. On évolue tantôt dans l’univers merveilleux des contes de fées : deux soleils éclairent l’appartement de Colin (car celui-ci aime la lumière) et des anguilles circulent dans les canalisations ; tantôt dans une atmosphère angoissante : « Le froid retenait les gens chez eux. Ceux qui réussissaient à s’arracher à sa prise y laissaient des lambeaux de vêtements et mouraient d’angine ».

Cependant, tant qu’une situation pénible ne les concerne pas directement, les personnages principaux demeurent insensibles.

Ainsi, au cours de leur première promenade ensemble, Chloé et Colin passent devant une vitrine de propagande pour l’Assistance Publique, dans laquelle « un gros homme avec un tablier de boucher, égorg[e] de petits enfants ». Colin commente ainsi la scène :« – (...) Ils les ont pour rien, à l’Assistance Publique ».De la même façon, les patineurs qui s’effondrent sur la glace, le chef d’orchestre qui s’écrase sur les dalles de l’église, les ouvriers qui périssent enchaînés à leur machine, n’émeuvent personne. Leur mort laisse les héros et le lecteur indifférents. Elle est traitée par Boris Vian comme un accident fortuit et même parfois comme un incident amusant : quand un patineur reste collé au mur « comme une méduse », les « varlets-nettoyeurs » évacuent ses débris à coups de raclette.

Chloé et Colin forment donc un jeune couple aisé, insouciant et heureux. Colin ne songe qu’à combler sa jeune femme afin qu’elle ne manque de rien. A un personnage qui lui demande ce qu’il fait dans la vie, il répond : « J’apprends des choses, et j’aime Chloé ». Il est riche et n’a pas besoin de travailler, ce qui est appréciable dans un univers où le monde du travail est considéré comme particulièrement dégradant et aliénant. Durant leur voyage de noces, les jeunes mariés sont obligés d’emprunter un itinéraire non prévu car la route normale est usée : « Tout le monde a voulu y rouler parce qu’il y faisait beau tout le temps ». Le raccourci passe devant une mine de cuivre. « Des centaines d’hommes, vêtus de combinaisons hermétiques, s’agit[ent] autour des feux (...) » Chloé ne connaît absolument rien au monde du travail, et n’en a même jamais entendu parler. Colin tente une explication :

« – On leur a dit que c’était bien [de travailler]. En général, on trouve ça bien. En fait, personne ne le pense. On le fait par habitude et pour ne pas y penser, justement. (...)

– Mais alors, ils sont bêtes ? dit Chloé.

– Oui, ils sont bêtes, dit Colin. C’est pour ça qu’ils sont d’accord avec ceux qui leur font croire que le travail c’est ce qu’il y a de mieux. Ça leur évite de réfléchir et de chercher à progresser et à ne plus travailler. »

Chloé, qui ne se pose jamais de questions, ressent du malaise à la vue des travailleurs. C’est, dans le roman, le premier fait générateur d’angoisse chez un des personnages.

Des signes annonciateurs de drame sont en effet rencontrés tout au long de l’ouvrage. Le plus fréquemment répété est celui de l’univers clos, qui se referme sur lui-même et sur les personnages. En effet, dans tout le roman, l’univers clos est précurseur des scènes de malheur : par exemple, la voiture qui emmène Chloé vers sa maladie pendant le voyage de noces, où « le ciel était bas », et où Colin et Chloé sont mal à l’aise ; par exemple encore « les parois de la cabine qui se [resserrent] » au moment où Colin apprend que Chloé est malade, constituent autant de présages d’un destin tragique qui se met en place. En revanche, dans chaque scène de bonheur, l’univers perd ses limites et s’ouvre sur l’extérieur : la première fois que Colin rencontre Chloé, il s’[aperçoit] que le plafond est à claire-voie » ; les « nuages [entrent] dans l’église » pendant la cérémonie nuptiale, comme si la complicité des éléments extérieurs était nécessaire au bonheur. Ce thème du rétrécissement maléfique de l’univers, présent dans ce passage, se retrouve dans une pièce de l’auteur, Les bâtisseurs d’empire, où une famille, poursuivie par un bruit mystérieux, fuit d’étage en étage, s’installe dans des logements de plus en plus petits, et court vers la mort. Chez Boris Vian, un univers clos semble toujours lié à la mort.

Un autre signe avant coureur de catastrophe est l’absence de lumière. Chloé souffre particulièrement du manque de clarté : « les lampes meurent (...) » ; « la fenêtre rétrécit », se plaint-elle à Isis. Heureusement la souris apprivoisée lui apporte « des fragments des carreaux du couloir (...) qui répand[ent] une vive lueur ». Dans sa chambre de malade, « l’obscurité humide » est due au rétrécissement des fenêtres, et à l’état de défectuosité des carreaux de céramique qui se ternissent, « les rayons, au lieu de rebondir en gouttelettes métalliques, [s’écrasent] sur le sol pour s’étaler en flaques minces et paresseuses ». La baisse de lumière a débuté en même temps que la dégradation de l’appartement, et « l’obscurité humide » est propice au développement de végétaux malsains, des projections mi-végétales, mi-minérales, qui altèrent la forme des pièces. Si la mort des personnages de L’écume des jours est souvent brutale et parfois assortie d’une note humoristique, celle de Chloé sera une agonie lente entrecoupée d’accalmies. Sa fin s’accompagne de la destruction inexorable de l’univers familier : l’appartement se dégrade [1] en même temps que la santé de Chloé. L’environnement est des plus déprimant, pas de lumière, parquet marécageux, exiguïté : seul « un étroit passage [mène] à la chambre de Chloé ». C’est le dernier endroit qui permet

...

Télécharger au format  txt (13.9 Kb)   pdf (136.1 Kb)   docx (13.9 Kb)  
Voir 8 pages de plus »
Uniquement disponible sur LaDissertation.com