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L'oeil Caméra De Mathias Dans Le Voyeur De Robbe-grillet

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Par   •  16 Novembre 2012  •  5 179 Mots (21 Pages)  •  1 737 Vues

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L’ ŒIL CAMERA DE MATHIAS

DANS LE VOYEUR D’ ALAIN ROBBE GRILLET

Dans les années soixante l’influence cinématographique sur le Nouveau Roman soulève un débat parmi les théoriciens et les nouveau romanciers eux-mêmes. Jean Ricardou par exemple a toujours récusé cette influence. Pour lui, le Nouveau Roman et le cinéma sont radicalement différents. D’autres nouveaux romanciers comme Claude Ollier, Claude Simon et Alain Robbe-Grillet avaient des avis partagés à l’égard du cinéma dont tantôt ils exaltent, tantôt ils minimisent le rôle. Cette notion d’influence cinématographique concerne en particulier Alain Robbe-Grillet parce qu’il est en même temps romancier, cinéaste et réalisateur. Sa carrière cinématographique est amorcée en 1961 en tant que cinéaste ( avec le scénario et les dialogues de L’Année dernière à Marienbad ), et en tant que réalisateur en 1963 avec son film L’Immortelle. Néanmoins ses romans publiés dans les années cinquante montrent à quel point son esthétique romanesque s’inspire du septième art. En témoigne la présence de procédés qu’on rattache le plus souvent au cinéma, comme le monologue intérieur, le traitement du temps ( passage abrupt du présent au passé et vice versa), l’imitation du mouvement de la caméra…

Dans le présent travail j’ai choisi de travailler sur Le Voyeur, roman publié en 1955. Il n’est pas assez connu ; pourtant il est caractérisé par la présence de procédés typiquement cinématographiques. J’essaierai de montrer comment l’œil du personnage principal, Mathias, devient une sorte de caméra et ce, par la façon d’approcher les objets, de tourner autour d’eux et de les saisir. Il est vrai que La Jalousie, publié deux ans après Le Voyeur, est, parmi les romans de Robbe-Grillet, celui qui représente le plus ce procédé. Rappelons que dans La Jalousie le point de vue est fixé dans la conscience d’un personnage absent du champ de vision, présent par son regard : il est l’œil observateur de la caméra. On voit les objets et les personnages par ses yeux. On progresse avec lui, ce qui fait qu’on ne voit jamais à la fois l’endroit et l’envers des choses. Dans Le Voyeur, bien que le point de vue soit de temps en temps extérieur à Mathias ( celui du narrateur ou d’un autre personnage), il est la plupart du temps fixé dans sa conscience. En témoigne surtout la première des trois parties du roman, quand Mathias débarque dans son île natale, où il a passé toute son enfance. Il effectue ce voyage dans le but de vendre des bracelets-montres. Tout le récit tourne autour de l’itinéraire de Mathias dans l’île et du crime ( le viol et l’assassinat d’une fille de treize ans ) qu’il aurait ou non commis. On ne sait pas si ce crime a eu lieu ou pas, d’où l’opacité du récit. C’est pourquoi les critiques parlent d’un vide, d’un trou dans le récit.

La transformation de Mathias en œil-caméra est due essentiellement aux deux raisons suivantes : la promotion du regard chez Robbe-Grillet et sa position vis à vis du point de vue. Quel est donc le rapport entre ces deux raisons et la transformation du personnage en caméra ? Et comment se manifestent les techniques de la caméra dans Le Voyeur ?

1- LA POSITION DE ROBBE-GRILLET VIS A VIS DU POINT DE VUE

Robbe-Grillet s’élève contre la présence omnisciente, omniprésente capable d’être à la fois dehors et dedans, et de prendre sur ses personnages le point de vue de Dieu. Tel est le narrateur du roman traditionnel. Dans son article « Notes sur la localisation et les déplacement du point de vue dans les descriptions romanesques » il réfléchit sur la position de l’observateur dans les passages descriptifs. Il affirme que :

Dans les célèbres descriptions balzaciennes, dans ces décors qu’il plante avec tant de minutie, on constate que l’auteur s’est posé très rarement le problème du point de vue ( …) Sous l’influence (…) du récit cinématographique, le roman à son tour semble prendre conscience des mêmes problèmes. D’où est vu cet objet ? Sous quel angle ? A quelle distance ? Avec quel éclairage ? Le regard s’y arrête-t-il longtemps, ou passe-t-il sans insister ? Se déplace-t-il, ou bien reste-t-il fixe ? Le romancier perpétuellement omniscient et omniprésent est ainsi récusé.

Robbe-Grillet fait ici allusion aux techniques de la caméra : le choix de l’angle de prise de vue, le choix de la distance qui sépare l’œil de la caméra de ce qui est observé, et enfin le choix de l’endroit où pourrait être placée la caméra ( endroit fixe ou en mouvement). Dans Le Voyeur Robbe-Grillet recourt à ces techniques et essaie de rattacher chaque description à ce que pourrait voir un homme, situé à un endroit et à une distance bien déterminées. Tout au long du texte Robbe-Grillet rappelle qu’il s’agit d’un observateur-personnage et non pas d’un narrateur démiurge. C’est pourquoi il insiste sur le choix d’un angle de prise de vue, en témoigne la présence d’expressions comme « impossible d’apercevoir depuis le pont, autre chose que la paroi… » (p.14), « On n’aperçoit pas la mer, pourtant toute proche… » (p. 21), « Mathias tourna son regard de quatre vingt dix degrés, en direction de la foule… » (p. 17-18) Dans l’exemple que je vais proposer ici la description d’une mouette dépend de l’angle de prise de vue du personnage caméra :

La vague se retira aussitôt ; les algues molles restèrent étendues sur la pierre mouillée, allongées côte à côte dans le sens de la pente. Dans le triangle de lumière, la petite flaque reflétait le ciel.

Avant qu’elle ne soit entièrement vidée, l’éclat en fut obscurci soudain, comme par le passage d’un grand oiseau. Mathias leva les yeux. Venant de l’arrière, la mouette grise imperturbable décrivait une fois de plus, avec la même lenteur, sa trajectoire horizontale- ailes immobiles, déployées en double voûte entre les pointes légèrement tombantes, tête penchée vers la droite surveillant l’eau d’un œil rond- l’eau- à moins que ce ne fût le navire-ou rien du tout. ( Le Voyeur, p. 16-17)

Le regard de Mathias est vertical. Tout d’abord il est dirigé vers le bas (vers la mer où flotte le papier), ensuite vers le haut pour observer la mouette. Quand le regard de Mathias est dirigé vers le bas la mouette correspond à une ombre. Quand son point de vue est dirigé vers le haut la mouette est décrite autrement : l’observateur fait allusion à sa couleur, ses ailes, sa tête et son œil, qualifiés par différents adjectifs. Le choix d’un

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