L'excipit De Thérèse Raquin
Recherche de Documents : L'excipit De Thérèse Raquin. Recherche parmi 298 000+ dissertationsPar valoucallet • 14 Janvier 2014 • 1 797 Mots (8 Pages) • 1 805 Vues
1. Une habile mise en scène
La scène finale se situe symboliquement un jeudi soir, jour traditionnel de réception chez les Raquin : quelques habitués (l'ancien commissaire de police Michaud, son fils Olivier et sa belle-fille Suzanne, Grivet) viennent dîner puis jouer aux dominos. Ces « orgies bourgeoises », selon le narrateur, se déroulent de manière monotone et régulière, en présence de Mme Raquin, qui est paralysée, a perdu l'usage de la parole, et vit dans la haine du couple qui a tué son fils ; sa paralysie l'a empêché de dénoncer les meurtriers à ses amis.
La soirée a été exceptionnellement gaie, de l'avis des convives ; l'épisode de la réception est en rupture totale avec les chapitres précédents, qui ont fait croître la tension dramatique et culminer la haine et la cruauté: après la description des débauches du couple, de leurs querelles, des coups, de la fausse couche de Thérèse et du meurtre du chat, le dernier chapitre s'ouvre sur l'évocation d'une soirée de réception traditionnelle. Les invités font l'éloge du couple et de leur appartement, qui est qualifié de « Temple de la Paix ». Personne ne soupçonne les réels sentiments de Laurent et Thérèse, qui ont respectivement préparé un nouveau meurtre.
Contrairement aux scènes de ménage précédemment évoquées, la scène est sobre, et décrite avec concision ; même si les préparatifs des meurtriers en puissance laissent présager une fin lamentable, la gradation et le retournement de situation satisfont aux exigences d'une œuvre romanesque: clore l'intrigue en fixant définitivement le sort des protagonistes. La scène finale présente deux étapes, également brèves : la première est une phase d'attente, de préparation (l. 5-14); la seconde étape débute par l'adverbe « et brusquement» : c'est une phase d'action, très rapide: l'empoisonnement mutuel ne dure que quelques secondes àla rapidité est soulignée par les quatre verbes d'action au passé simple: prit/vida/tendit/acheva; noter la phrase courte avec la référence à l'« éclair» et l'emploi du participe apposé: « foudroyés », l. 22.
La scène est constituée d'une série de plans qui seraient autant de tableaux pathétiques, dignes des compositions larmoyantes du drame bourgeois de la fin du XVIIIe siècle: Thérèse d'abord accroupie devant le buffet (l. 3, puis l. 8), Laurent tenant le verre, près de la table (l. 1-2, et 8-9) ; puis les deux époux se jettent dans les bras l'un de l'autre, dans une attitude mélodramatique (l. 14-15). Après l'ellipse de la chute des corps, la position des cadavres (l. 22-23).
Le mélange des registres permet d'opérer une gradation dans l'horreur, d'accentuer l'importance du revirement, et d'expliquer la transformation ultime des liens qui unissent le couple. La scène finale joue en effet sur le registre pathétique, dans l'expression des manifestations physiques et psychiques de la souffrance des personnages; à la solitude tragique qui isolait jusque-là chacun des coupables prêts à perpétrer un second meurtre, succède un bouleversement nerveux qui les unit dans un état de faiblesse, et qui les rend très humains. La grandeur tragique réapparaît dans la calme acceptation de la mort vécue comme un espoir et une preuve de courage. En opposition à cette mort, l'évocation de la position grotesque des cadavres vautrés, vision macabre, ancre la scène dans le projet naturaliste: la mort réduit l'individu à un corps inerte, à des éléments matériels; est-ce le hasard si la bouche de Thérèse va précisément heurter la cicatrice laissée par les dents de Camille sur le cou de Laurent? Cette position suggère toutefois l'acceptation du baiser (auquel s'était refusée Thérèse) destiné à repousser le fantôme du noyé, élément fantastique qui resurgit au moment de la mort des meurtriers.
2. Le projet naturaliste: le rôle du déterminisme
Zola propose, avec le double suicide des meurtriers de Camille, une scène qui conclut logiquement la lente déchéance des personnages, prévisible et annoncée tout au long de l'œuvre; à la première pulsion homicide, qui aboutit au meurtre de Camille, correspond une seconde pulsion homicide, double, chacun des personnages projetant d'éliminer l'autre. Bien que le naturalisme rejette le principe de l'âme, et donc l'existence de remords, il est difficile de ne pas voir dans l'évolution des personnages l'importance grandissante de la culpabilité qui les ronge: l'ébranlement nerveux provoqué par le meurtre de Camille, les hallucinations dont ils sont la proie provoquent une inévitable dégradation physique et psychique. Thérèse et Laurent ne peuvent que mourir, mais le retournement de situation (la catastrophe finale qui mue la tentative d'assassinat en suicide consenti) les « rachète» en quelque sorte, et les sauve d'un point de vue de la morale (dont Zola ne peut se débarrasser !)
Les jeux d'échos et de symboles sont nombreux, et participent de la volonté naturaliste à bien mettre en évidence les fils directeurs d'une action dont le déroulement, comme dans la tragédie antique, est inéluctable. La mise en scène finale fait référence à des situations et à des lieux déjà évoqués : ainsi, la mort de Thérèse et de Laurent est-elle aussi brutale et silencieuse que leur première étreinte amoureuse (chapitre 6) ; le lieu (la salle à manger) est, avec l'évocation de la clarté jaunâtre de la lampe, le même que celui qui voyait se dérouler les soirées paisibles et calmes ; la présence de Mme Raquin est constante dans le roman: auparavant, elle jouait le rôle d'une sorte de divinité protectrice du foyer, surveillant d'un œil affectueux ses enfants; elle incarne à la fin du roman une déesse de
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