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Klemperer C'est Nous. Sur La réception Allemande Des Journaux De V. Klemperer

Fiche de lecture : Klemperer C'est Nous. Sur La réception Allemande Des Journaux De V. Klemperer. Recherche parmi 297 000+ dissertations

Par   •  7 Octobre 2014  •  Fiche de lecture  •  10 030 Mots (41 Pages)  •  803 Vues

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« Klemperer c’est nous ! »

Sur la réception allemande des journaux de Victor Klemperer

La biographie de Victor Klemperer jusqu’à 1933 serait-elle, pour reprendre les mots de Fritz Backahus dans Babylon , «la success-story du judaïsme assimilé »? Ceci reste à voir ; néanmoins elle est sans doute un paradigme pour une génération de la bourgeoisie cultivée judéo-allemande qui a essayé par tous les moyens de réaliser son propre désir inconditionnel de reconnaissance et d’assimilation, et dont le rêve de symbiose judéo-allemande se serait transformé en un cauchemar en 1933.

Klemperer naît en 1881 à Landsberg, en Prusse occidentale, dernier enfant d’une famille juive nombreuse et modeste ; ses parents sont originaires de Prague. D’abord à Landsberg, ensuite à Bromberg, son père occupe la charge de rabbin de la petite communauté juive. Le caractère étriqué de la vie de province et – comme en témoigne le récit de Klemperer dans son autobiographie – le lien continu avec une orthodoxie « gênante » vouée à des rituels ataviques « médiévaux », poussent son père, défenseur d’un judaïsme moderne et éclairé, à s’installer à Berlin, où il deviendra le premier « prêcheur » d’une synagogue réformée.

Alors que ses deux frères aînés entreprennent respectivement les carrières de médecin et d’avocat (ce qui donnait plus de chances de réussite à un juif cultivé de l’époque), Klemperer decida de suivre la prédiléction de son père pour la littérature et de se vouer aux études humanistes. Son profil académique est cependant plutôt irrégulier : il quitte le lycée pour un apprentissage en commerce, il reprend par la suite les études sans toutefois les achever, il veut devenir poète et entreprend la carrière de journaliste jusqu’à 1913, lorsqu’il passe sa maîtrise qui lui ouvrira la voie pour l’agrégation, obtenue en 1914 sous la tutelle du philologue en langues romanes Karl Vossler. « Pressé » par l’ambition de son frère Berthold qui depuis son baptême espérait d’obtenir son « ticket d’entrée pour la société bourgeoise » (Heine), Klemperer, agnostique convaincu, se déclare étranger et indifférent à toute religion et se convertit au protestantisme en 1903. Puis, trois ans plus tard, il épouse par mariage civil la pianiste Eva Schlemmer et se fait inscrire comme « israélite » sur le registre d’état civil. Enfin en 1912, en prévision d’une future carrière universitaire, Klemperer scelle sa ferme volonté d’être « Allemand en tout et pour tout » en se convertissant pour une deuxième fois au protestantisme . Après un long séjour passé à Naples en tant que lecteur à l’université (où il connut Benedetto Croce qui, dans une lettre, jugea Klemperer l’intellectuel le plus prussien qu’il eût jamais connu), en 1915 il s’engagea au front comme volontaire, croyant dans la nécessité de la « légitime défense » allemande et poussé par l’espoir de la victoire qui rendrait « au peuple un plus grand esprit de fraternité » . En 1918 il rentre à Munich, déçu par la défaite et peut-être aussi désillusionné face à l’inutilité d’une guerre dévastatrice. Désorienté politiquement, il donne son vote aux démocrates, un petit parti du centre qui, au dire de Scholem, « mis à part les juifs, personne ne prenait au sérieux » . Intellectuel convaincu que la voie vers l’assimilation passe tout d’abord par la culture, Klemperer — peut-être à cause de la perception de sa non appartenance — souligne l’importance de l’individu face à la communauté et se méfie de la démocratie sociale qu’il voit comme un parti pour les masses ; en revanche, ce qui le répugne du Parti national c’est l’antisémitisme.

Sa carrière universitaire commence finalement avec un poste à l’Université de Munich mais il doit se rendre très tôt à l’évidence que, dans le milieu universitaire comme ailleurs, la condition de juif est un obstacle pour son ascension sociale tant convoitée. En 1920, il devient finalement titulaire d’une chaire au Polytechnique de Dresde (où il se sent comme « un enseignant de langues dans un internat pour filles ») et malgré tous ses efforts, il ne réussira pas à être nommé dans une université plus prestigieuse (« Il existe des universités réactionnaires et des universités libérales. Les premières n’embauchent pas de juifs ; les autres en ont déja deux et n’en veulent pas un troisième [. . .] », 26 décembre 1926). Mais ce n’est pas seulement l’antisémitisme à lui mettre des bâtons dans les roues ; sa formation « irrégulière » est tout aussi gênante et lorsqu’il n’est pas repoussé en tant que juif, il est traité de « journaliste » et de « lettré » dont les capacités scientifiques seraient à l’évidence redoutables .

Lorsque Hitler monte au pouvoir en 1933, Klemperer se laisse aller à l’illusion que la croix de fer conquise pendant la Grande Guerre le mettrait à l’abri des abus et des discriminations, mais à peine deux ans plus tard, la nouvelle loi sur l’emploi public le prive de sa fonction académique. En 1940, enfin, il est contraint à quitter sa maison et à déménager dans une « maison pour juifs » (Judenhaus), où plusieurs familles se partagent peu de mètres carrés. Grâce au « mariage mixte » avec Eva Schlemmer, qui ne succombe aucunement à la tentation d’abandonner Victor à son sort, Klemperer peut éviter – ou plutôt renvoyer presque de jour en jour – la déportation et il survit aux années de la tyrannie nazie à Dresde, isolé et marqué de l’étoile de David . La confusion à la suite du bombardement allié de février 1945 lui permet de quitter la ville et de se cacher jusqu’à la fin de la guerre, au cours d’un long périple vers la Bavière occupée par les Américains. Encore pendant la même année, rentré à Dresde, il quitte l’Eglise protestante, il s’inscrit au Parti communiste et reprend l’enseignement universitaire, d’abord à Greifswald et Halle et enfin à Berlin-Est.

En Allemagne de l’Ouest, Klemperer était jusqu’à présent célèbre non pas pour ses études sur les littératures romanes mais plutôt grâce à son Lingua Tertii Imperii, une analyse de la langue nazie extraite du journal tenu pendant les douze années de la période hitlérienne et publiée dès 1946 .

Curriculum vitae, ses souvenirs autobiographiques des années 1881-1918, paru posthume en 1989, suscita en revanche peu de réactions de la part du public tout comme de la critique. Mais, lorsqu’en 1995 parut dans les rayons des librairies le journal de Klemperer tenu au cours de la période hitlérienne, le succès fut extraordinaire : la chronique de la vie

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