LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

Gide, Les Faux Monnayeurs, analyse du chapitre 13 de la IIIème partie (rencontre avec l'ange)

Commentaire d'oeuvre : Gide, Les Faux Monnayeurs, analyse du chapitre 13 de la IIIème partie (rencontre avec l'ange). Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  16 Septembre 2019  •  Commentaire d'oeuvre  •  1 706 Mots (7 Pages)  •  953 Vues

Page 1 sur 7

Question 1 : Comment interpréter la rencontre de Bernard avec un ange (Partie III, chapitre 13) ?

Nous sommes à Paris, au jardin du Luxembourg, dans les années 1910. Un ange passe, et vient à la rencontre de Bernard, le jeune héros dont nous suivons les aventures depuis les premières pages des Faux-monnayeurs. Est-ce une illusion ? Un rêve ? Force est de constater que cette irruption du surnaturel dans un univers jusque là ancré dans le rationnel a de quoi déconcerter : ce n’est pourtant pas la réaction de Bernard qui accepte sans sourciller de répondre à l’invitation de la créature : « Suis-moi ».

Quel statut accorder à cet ange et quelle interprétation donner à cet étrange épisode? S’il est bien l’envoyé de Dieu qu’il paraît être, alors on peut penser que ce chapitre constitue une ultime mise à l’épreuve du protagoniste. Cependant, de nombreux indices textuels soulignent l’ ambiguïté d’un « ange » qui se révèlerait ainsi le vecteur de tentations démoniaques. Enfin, cette apparition pourrait bien n’être que la matérialisation de la lutte du personnage contre lui-même.

  1. Une mise à l’épreuve

La première phrase du chapitre souligne la générosité de la « nature » de Bernard. Cette générosité peut-elle s’étendre au-delà des simples affinités naturelles ? On pourrait mettre cet épisode en parallèle avec les grandes mises à l’épreuve bibliques (le sacrifice d’Isaac, la lutte de Jacob avec l’ange dont la fin du chapitre est explicitement une récriture…) : en « menant » le jeune homme dans trois lieux inconnus (l’église de la Sorbonne « où Bernard n’était jamais entré » ; « une salle remplie de monde » où des orateurs se succèdent sur une estrade ; « de pauvres quartiers dont Bernard ne soupçonnait pas auparavant la misère »), l’ange semble mettre en équation les vertus naturelles du personnage avec la vertu théologale qu’incarne chacun des endroits visités :  

  1. La Foi (Eglise de la Sorbonne) :  même s’il se sent « en paix », exalté par l’atmosphère du lieu et brûle de « s’offrir », Gide précise que Bernard « ne croyait en aucun dieu ». L’ange souligne d’ailleurs que l’intensité des sentiments et émotions ressentis ne sont qu’une illusion en précisant « Tu t’offrais de même à Laura », ce qui sonne comme un reproche et un constat d’échec.
  2. L’Espérance (réunion politique) : on peut comprendre entre les lignes que la réunion à laquelle l’ange et Bernard assistent est tenue par des partisans de l’Action Française, seul mouvement politique cité dans le roman, et ce dès le  premier chapitre. Le mouvement incarne pour ses adeptes l’espérance d’une « régénération de la France », d’une restauration de sa « grandeur » et de son « rayonnement ». L’enthousiasme de l’auditoire semble gagner Bernard, et, encouragé par l’ange : « Tu voulais t’offrir (…) Qu’attends-tu ? », il est sur le point de s’engager, quand la jalousie vis à vis de son frère aîné, entraperçu dans la foule, arrête son élan. Nouvel échec.
  3. La Charité (quartiers de misère) : si le jeune homme verse des larmes sur la misère affective des nantis « sûrs d’ [eux], indifférents aux autres mais soucieux », c’est l’ange qui pleure sur celle, matérielle et morale, des « hautes maisons sordides qu’habitaient la maladie, la prostitution, la honte, le crime et la faim ». La compassion de Bernard ne semble donc pouvoir s’exercer que vers ceux de son propre monde (peut-être pleure-t-il sur ce qu’il pourrait devenir), ou vers l’ange dont il « prit la main » pour le consoler.

Au terme de ce périple, Bernard apparaît donc inapte à exercer aucune des trois vertus que les lieux visités auraient dû éveiller dans son âme, et dont la possession aurait pu donner à sa vie le sens qu’il cherche. Mais si l’ange n’est pas la créature divine qu’il paraît être, l’épisode prend alors un sens bien différent.

  1. Une tentation diabolique

En effet, de nombreux indices, bien qu’imperceptibles au « lecteur paresseux », incitent à la suspicion vis-à-vis de l’entité surnaturelle. Reprenons la définition du diable donnée par Gide dans le JFM : un personnage qui « circulerait incognito à travers tout le livre ». Or le verbe « circuler » est spécifiquement repris deux fois dans le chapitre :

1. Une première fois pour qualifier le mouvement des « autres anges » présents « incognito » dans l’église de la Sorbonne, puisque Bernard n’a pas « les yeux qu’il fallait pour les voir ». Certes, il s’agit d’un lieu sacré, mais que font-ils là, à « circuler » quand le rôle que la théologie leur assigne est de « louer et servir Dieu » ? Le verbe utilisé par Gide ne suggère-t-il pas que cette circulation a tout de l’errance de l’esprit malin en quête d’hommes à tourmenter ? Même leur nombre est suspect : l’ « esprit impur » qui possède le forcené du chapitre 5 de l’Evangile selon Saint Marc ne précise-t-il pas « Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux » ? Et les démons aux aguets ne manquent pas dans le roman…

...

Télécharger au format  txt (10.4 Kb)   pdf (115.5 Kb)   docx (11.7 Kb)  
Voir 6 pages de plus »
Uniquement disponible sur LaDissertation.com