Extrait du roman La Bête Humaine de Zola
Recherche de Documents : Extrait du roman La Bête Humaine de Zola. Recherche parmi 298 000+ dissertationsPar dissertation • 6 Décembre 2012 • 366 Mots (2 Pages) • 1 354 Vues
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Enfin, Jacques ouvrit les paupières. Ses regards troubles
se portèrent sur elles, tour à tour, sans qu'il parût les
reconnaître. Elles ne lui importaient pas. Mais ses yeux
ayant rencontré, à quelques mètres, la machine qui
expirait, s’effarèrent d'abord, puis se fixèrent, vacillants
d’une émotion croissante. Elle, la Lison, il la reconnaissait
bien, et elle lui rappelait tout, les deux pierres en travers
de la voie, l’abominable secousse, ce broiement qu’il avait
senti à la fois en elle et en lui, dont lui ressuscitait, tandis
qu’elle, sûrement, allait en mourir. Elle n'était point
coupable de s'être montrée rétive ; car, depuis sa maladie
contractée dans la neige, il n'y avait pas de sa faute, si elle
était moins alerte ; sans compter que l’âge arrive, qui
alourdit les membres et durcit les jointures. Aussi lui
pardonnait-il volontiers, débordé d’un gros chagrin, à la
voir blessée à mort, en agonie. La pauvre Lison n’en avait
plus que pour quelques minutes. Elle se refroidissait, les
braises de son foyer tombaient en cendre, le souffle qui
s'était échappé si violemment de ses flancs ouverts,
s’achevait en une petite plainte d’enfant qui pleure.
Souillée de terre et de bave, elle toujours si luisante,
vautrée sur le dos, dans une mare noire de charbon, elle
avait la fin tragique d’une bête de luxe qu’un accident
foudroie en pleine rue. Un instant, on avait pu voir, par
ses entrailles crevées, fonctionner ses organes, les pistons
battre comme deux cœurs jumeaux, la vapeur circuler
dans les tiroirs comme le sang de ses veines ; mais,
pareilles à des bras convulsifs, les bielles n’avaient plus
que des tressaillements, les révoltes dernières de la vie ; et
son âme s’en allait avec la force qui la faisait vivante,
cette haleine immense dont elle ne parvenait pas à se vider
toute. La géante éventrée s’apaisa encore, s’endormit peu
à peu d'un sommeil très doux, finit par se taire. Elle était
morte. Et le tas de fer, d’acier et de cuivre, qu’elle laissait
là, ce colosse broyé, avec son tronc fendu, ses membres
épars,
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