Etude littéraire : Ethiopiques de Léopold Sédar Senghor.

Introduction :

« Insulté, asservi, il se redresse, il ramasse le mot de nègre qu’on lui a jeté comme une pierre. »

 — Jean Paul Sartre, Orphée noir

Au XVIIIe siècle, deux écrivains philosophes ont porté un regard sur le nègre : Le nègre de Surinam dans le conte philosophique Candide ou l’Optimisme de Voltaire et les deux livres de Montesquieu De l’esprit des lois et les lettres persanes. Certes, les deux philosophes y dénoncent l’esclavagisme mais en même temps ils nous brossent un regard porté par l’homme blanc sur l’homme noir. Comment donc l’homme noir regarde lui-même ? Et quelle est sa vision de son environnement et du monde ? C’est ce que certains écrivains nègres, surtout Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor, vont manifester au XXe siècle à travers leurs écritures. Le premier va inventer le mot, donc le concept Négritude et l’autre va construire le mouvement Négritude Mais les deux, et chacun à sa fonçon, vont choisir de mettre la poésie au service de la Négritude

S’arrêtant d’abord sur LE SENS DU TERME NEGRITUDE

C’est un néologisme que Césaire a employé pour la première fois dans le Cahier d’un retour au pays natal en 1939. Voici une des définitions que l’auteur en donne :

« La négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture ».

Dans le Dictionnaire des littératures-Larousse (1986) on trouve la définition suivante. «  la Négritude est l’ensemble des valeurs de civilisation du monde noir telles qu’elles s’expriment dans la vie et dans les œuvres des noirs »p.1119.

Mais avec le temps, ce concept de Négritude s’est développé et il est nécessaire d’en délimiter aujourd’hui l’étendue. On peut dire, comme définition générale, que la Négritude est la façon dont les Négro-africains comprennent l’univers, c’est-à-dire le monde qui les entoure, la nature, les gens, les événements : c’est aussi la façon dont ils créent. Cette conception de la vie est déterminée par deux sortes de phénomènes : les phénomènes de civilisation et les phénomènes historiques. La création d’un mouvement s’avère donc nécessaire Le mouvement de la Négritude a été créé par des étudiants et des intellectuels noirs vivant à Paris et nourris des œuvres des écrivains négro-américains.

Léopold Sédar Senghor est la figure emblématique de ce mouvement, avec d’autres bien sûr. Mais nous nous intéressons à cette figure charismatique pour travailler une leçon littéraire à propos d’un recueil Les Ethiopiques. Senghor, poète, écrivain, homme d'État français et premier président de la République du Sénégal (1960-1980), aussi le premier Africain élu à l'Académie française. Senghor qui savourait les mots de la langue française et savait si bien les utiliser, le défenseur des civilisations traditionnelles en général, et de la Négritude en particulier, l’humaniste qui souhaitait que l’Afrique soit présente sur la scène mondiale. Il a écrit un recueil de poèmes intitulé Ethiopiques entre 1947 et 1956. Tout d’abord qu’est-ce que le titre révèle comme sens ?

Le mot « éthiopiques » vient du grec «Aïthiops » qui signifie « ce qui paraît brûlé », d’où noir, couleur de la peau. Dans la Bible, l’Ethiopie est le pays le plus éloigné d’Afrique, dont les habitants, noirs, vivent à l’extrémité du monde connu. Par Synecdoque, l’Ethiopie désigne l’Afrique et son ancienneté et sa grandeur, par ses liens avec la civilisation égyptienne. On peut également noter que le mot « éthiopiques » constitue l’anagramme du mot « poétique ». Le choix de ce titre prend alors toute sa signification dans le projet et l’œuvre de Senghor : faire de la Poésie la voix de la Négritude.

Le recueil « Ethiopiques » est constitué de trois parties. On y trouve des « guimms » (chant) simples et un guimm composé (L’Absente), un poème dramatique (Chaka) et des épîtres suivis d’autres chants.

Première partie : Les huit premiers textes correspondent à une célébration de l’Afrique et de ses représentants mythiques :

                        L’Homme et la Bête

                        Congo

                        Kaya-Magan

                        Messages

                        Teddungal

                        L’Absente

                        A New York

                        Chaka (poème dramatique)

Deuxième partie : Les épîtres à la princesse

Troisième partie : « D’autres chants » qui contiennent huit poèmes élégiaques et mélancoliques célébrant l’aimée absente.

Ethiopiques de Léopold Sédar Senghor n’est pas uniquement un recueil autobiographique, C’est une œuvre à tonalité épique et élégiaque qui témoigne de la maturité senghorienne et d’une certaine convergence entre ce qui est poétique et ce qui est politique. En faisant hymne à la culture africaine, le poète s’inspire de la « Négritude ». En optant pour une poésie influencée par les troubadours et en nouant une relation de paternité et de maternité avec l’africanité, la mission de Senghor, en tant que poète nègre, est de nommer les choses dans un style révélateur qui se veut symbiose du signe et du sens, de l’oral et du scriptural. En plus de son plaidoyer pour la Négritude, Senghor est tout de même un poète obsédé par la question du rythme qui est la matrice  de son art poétique. Ses poèmes, qui visent la défense d’un humanisme universel, sont faits pour être déclamés, chantés et pour générer le rythme de l’émotion.

Problématique : Il s'agit donc d'étudier en quoi et de savoir comment, dans le recueil Ethiopiques, Senghor développe une revendication de la culture négro-africaine, avant de considérer la mise en œuvre de l'idéal de métissage dans l'écriture.

Partie I : les manifestations de la négritude dans le recueil poétique entre enchantement et désenchantement.

1. Discours poétique euphorique :

           Le recueil Ethiopiques  est une synthèse de mythes collectifs, de valeurs traditionnelles d’une Afrique ancestrale.  Senghor y fait l’apologie de la Négritude.

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