Dissertation sur le sonnet Les regrets de Du Bellay

1. Situation du texte

Édités en 1558, les Regrets, mieux encore que les Antiquités, reflètent l’âpre nostalgie qui s’empare du poète pendant son séjour à la cour pontificale romaine auprès de son oncle, le cardinal et ambassadeur Jean Du Bellay. D’une grande complexité de construction, le recueil s’ouvre par une adresse au lecteur en latin, puis par une longue dédicace de vingt-sept quatrains à D’Avanson, conseiller du roi. Viennent ensuite les 192 sonnets en alexandrins où se croisent de multiples thèmes: la vie frelatée de la Cour romaine, l’ennui, la nostalgie de la terre de France, l’éloge des amis et des protecteurs, l’ambition de gloire littéraire malgré les espoirs déçus, etc.

2. Une forme orthodoxe

Ce sonnet est parfaitement classique. Il comporte deux quatrains, composés de deux phrases terminées par des points. La progression temporelle (présent, passé, futur) est parfaitement servie par le cadre fixe de la forme : les 2 premières strophes sont centrées sur l’opposition passé (premier quatrain)/présent (second quatrain), tandis que le sizain formé par les deux tercets allie ces contraires pour présager de la transformation du mal ou malaise présent en un bien à venir.

3. Une construction binaire

La construction strophique et métrique du poème renforce son caractère binaire. Celui-ci est fondé sur une succession de parallélismes (v. 11-13), d’oppositions et en particulier d’anaphores comme celles de «Maintenant », en ouverture des deux quatrains ou de « Si », à l’attaque des deux tercets, repris en anaphore secondaire du vers 11 sur le vers 12. Les rimes, toutes riches ou suffisantes, alternant masculines et féminines, confortent les oppositions sémantiques qui traversent le poème : tous les mots à la rime dans les quatrains sont dysphoriques alors que, à l’exception de « vieillesse», tous ceux qui le sont dans les tercets sont positifs ou mélioratifs.

4. Un procès et une promesse

Dans le sonnet VI de ces mêmes Regrets (« Las, où est maintenant ce mépris de fortune »), Du Bellay, exprimant déjà la tenace nostalgie provoquée par l’ennui romain, semblait résigné à la précarité de la poésie ou du moins déplorait la perte, la fuite d’une inspiration poétique authentique, désormais privée d’objets dignes d’elle. Dans ce sonnet XIII, la tonalité est autre. Certes, le poète semble stigmatiser la vanité ou la futilité de son statut de poète, qui lui a fait, pendant de longues années, confondre la vraie vie avec le « vain passe-temps d’une si longue erreur » (v. 4); certes il stigmatise encore la confusion de jadis entre sa « jeunesse » (v. 9), « le meilleur de mon âge » (v. 2), et « la blessure » (v. 12) ou la « folie » (v. 11). Mais le mouvement même du texte opère, en dépit de tout, un spectaculaire renversement du procès en promesse, du « mal » en « guérison » comme le suggérera le bel oxymore animalier du vers 13, « le scorpion utile ». Tout ce qui était à verser au discrédit d’une poésie ruineuse de vie, dilapidatrice d’énergie, est progressivement transformé ou recomposé en vertu réconfortante, réparatrice. Le temps perdu aux jeux de la poésie de jeunesse, la virtuosité acquise dans ces futilités de mots et

...