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Dissertation: Est-il juste de dire que la poésie permet d’échapper aux espaces qui emprisonnent ?

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Par   •  15 Juin 2015  •  3 837 Mots (16 Pages)  •  1 750 Vues

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Est-il juste de dire que la poésie permet d’échapper aux espaces qui emprisonnent ?

Introduction

Traditionnellement, le poète est présenté, de manière romantique et réductrice, comme le rêveur savourant sa liberté au sein de la grande nature, tel Chateaubriand-René s'enivrant de parcourir la lande sauvage en rêvant d'espaces infinis. Pourtant, la figure du poète maudit réfugié dans la solitude de sa chambre, voire emprisonné comme l'ont douloureusement expérimenté Verlaine et Rimbaud, est tout aussi fréquente et, en tout cas, conforme à la réalité. Mais la supériorité du poète sur la foule vulgaire qui méprise cet inutile rêveur est peut-être d'être capable de s'évader de ces espaces trop étriqués ou emprisonnants, grâce à son art justement. Mais est-il toujours juste de dire que la poésie permet d'échapper aux espaces qui emprisonnent ? Cela signifierait que le poète chercherait nécessairement à fuir l'espace clos comme si c'était une prison pour lui et pour son esprit créateur, tel Mallarmé qui se désole de la perte de son inspiration dans « Brise marine » en évoquant « la clarté déserte de [s]a lampe/ Sur le vide papier que la blancheur défend », mais dont le poème est aussi la preuve que l'enfermement n'a aucune prise sur sa créativité. Comme nous y invite le philosophe-poète Gaston Bachelard dans son essai : c'est à une Poétique de l'espace, clos en l'occurrence, qu'il s'agit de réfléchir : comment se situe le poète face à l'espace qui l'enferme ? Quels pouvoirs a-t-il pour s'en évader ?

Nous essaierons de voir tout d'abord que le poète ne veut pas ou ne peut pas nécessairement échapper à l'espace qui enferme, puis nous nous pencherons sur le pouvoir du poète de trouver des échappatoires, hors les murs qui emprisonnent. Enfin, parce qu'elle est évasion hors du champ de la réalité et du langage commun, nous devrons bien admettre que la poésie permet au poète et au lecteur de s'évader dans un tout autre lieu : celui de la poésie.

I. La poésie et les espaces d'enfermement

1. L'« espace heureux »

Parce que c'est « espace heureux » selon Bachelard, l'espace possédé et intime : la maison, le grenier, la chambre… C'est celui qu'évoque Marceline Desbordes-Valmore dans le poème intitulé justement « Ma chambre », où déjà l'adjectif possessif ne signifie pas seulement l'appartenance mais aussi l'attachement affectif. Elle se plaît à évoquer, dans cet espace, les moments heureux partagés avec l'être aimé « Vis-à-vis la mienne/ Une chaise attend :/ Elle fut la sienne,/ La nôtre un instant » ; le jeu des pronoms possessifs dit ici le partage et la proximité avec l'être aimé qui a vécu là. D'où son repli souhaité à l'intérieur de sa « demeure », la bien nommée, où elle reste et s'adonne volontiers à une activité de femme d'intérieur, la broderie : « Je brode mes fleurs ;/ Sans être fâchée » ; d'où aussi la sonnette ressentie comme importune si elle annonce un visiteur de l'extérieur qui n'est pas l'homme attendu ! Le poème « La maison d'Hélène » de René-Guy Cadou est de même une maison-paradis car habitée par la présence de la femme aimée : « On entend gazouiller les fleurs du paravent/ Le cœur de la forêt qui roule sous la table/ Et l'horloge qui bat comme une main d'enfant » : les choses y prennent vie et sont promesses de vie parce que la matière constitutive de la maison s'anime, est vivante. La maison lui inspire aussi le poème « Chambre de la douleur », cette fois lieu des souvenirs douloureux mais précieux, la mort de son père : « Tu n'es plus là mon père […] Et dans la chambre je t'attends/ Pour remailler les filets bleus de la lumière. »

L'espace clos peut aussi être perçu comme un refuge par rapport au monde extérieur menaçant, voire hostile. Bachelard consacre tout un chapitre à ce qu'il appelle « les maisons des choses », tiroirs, armoires, coffres qui renferment ces objets que l'on veut protéger de la poussière, de l'usure du temps ou… des voleurs ! Mais c'est la maison elle-même qui peut jouer ce rôle. C'est ainsi que la voit et la souhaiterait Henri Michaux qui se projette dans le personnage de Plume, qui donne son nom à ce recueil de poèmes en prose, publié en 1938. Ce nom dit bien d'ailleurs l'inconsistance et la vulnérabilité du personnage. Dans le poème « Un homme paisible », Plume reste dans son lit et se réfugie dans le sommeil alors qu'un train a traversé sa maison et tué sa femme : « Étendant les mains hors du lit, Plume fut étonné de ne pas rencontrer le mur, tiens pensa-t-il les fourmis l'auront mangé ! Et il se rendormit. […], si ce train pouvait n'être pas passé, j'en serais fort heureux. Mais puisqu'il est passé… et il se rendormit. » Dans un autre poème du recueil, « Plume voyage », il est malmené, mis cent fois hors les lieux visités, mais dans le paquebot qui l'emmène, il finit par trouver refuge dans « la soute » où il se trouve bien finalement : « Mais il ne dit rien, il ne se plaint pas, il songe aux malheureux qui ne peuvent pas voyager du tout… » « La maison d'Hélène » de René-Guy Cadou est ainsi comme une « arche » de Noé où les animaux fragiles et faibles peuvent trouver refuge : « Des agneaux étendus calmement sur les marches/ Comme s'ils attendaient l'ouverture de l'arche. »

2. L'échappatoire

Mais il se peut aussi que le poète ne puisse pas échapper à l'espace qui l'enferme. Soit parce qu'il est physiquement mais aussi moralement emprisonné, et que sa poésie traduit cet enfermement. Guillaume Apollinaire a été incarcéré dans la prison parisienne de la Santé, où il écrit les poèmes qui prendront place dans le recueil Alcools, sous le titre « À la Santé ». Dans les six poèmes de cette section, il évoque cet enfermement douloureux, parle de sa « cellule » comme d'un tombeau, en se comparant à un « Lazare entrant dans la tombe/ Au lieu d'en sortir comme il fit », ou encore à un animal sauvage dans une cage, quand il se promène dans la cour intérieure de la prison : « Dans une fosse comme un ours/ Chaque matin je me promène/ Tournons tournons tournons toujours/ Le ciel est bleu comme une chaîne. » Pas d'échappatoire possible dans cette

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