Corpus de textes: La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation
Dissertation : Corpus de textes: La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation. Recherche parmi 298 000+ dissertationsPar YanMillions • 28 Février 2014 • 1 613 Mots (7 Pages) • 1 143 Vues
Texte A : Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville (1796)
Dans cet ouvrage, Diderot imagine un supplément au récit de voyage que fit l’explorateur
Bougainville en 1771, lorsqu’il revint de son tour du monde. Deux voyageurs, A et B, discutent
sur les différentes étapes de ce récit. Le texte que nous étudions rapporte le soi-disant
dialogue, tenu entre un vieux chef tahitien et le navigateur qui s’apprête à quitter avec ses
hommes l’île de Tahiti. C’est le chef tahitien qui parle.
Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton vaisseau ?
t’avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t’avons-nous associé dans nos
champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse-nous
nos moeurs ; elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons point
troquer ce que tu appelles notre ignorance contre tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est
nécessaire et bon, nous le possédons. Sommes-nous dignes de mépris, parce que nous
n’avons pas su nous faire des besoins superflus ? Lorsque nous avons faim, nous avons de
quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir. Tu es entré dans nos
cabanes, qu’y manque-t-il, à ton avis ? Poursuis jusqu’où tu voudras ce que tu appelles les commodités de la vie ; mais permets à des êtres sensés de s’arrêter, lorsqu’ils n’auraient
à obtenir, de la continuité de leurs pénibles efforts, que des biens imaginaires. Si tu nous
persuades de franchir l’étroite limite du besoin, quand finirons-nous de travailler ? Quand
jouirons-nous ? Nous avons rendu la somme de nos fatigues annuelles et journalières la
moindre qu’il était possible, parce que rien ne nous paraît préférable au repos. Va dans ta
contrée t’agiter, te tourmenter tant que tu voudras, laisse-nous reposer : ne nous entête ni
de tes besoins factices, ni de tes vertus chimériques. Regarde ces hommes ; vois comme ils
sont droits, sains et robustes. Regarde ces femmes ; vois comme elles sont droites, saines,
fraîches et belles. Prends cet arc, c’est le mien ; appelle à ton aide un, deux, trois, quatre de
tes camarades, et tâchez de le tendre. Je le tends moi seul. Je laboure la terre ; je grimpe la
montagne ; je perce la forêt ; je parcours une lieue de la plaine en moins d’une heure. Tes
jeunes compagnons ont eu peine à me suivre ; et j’ai quatre-vingt-dix ans passés.
Texte B : Jacques Lacarrière, L’Été grec (1975)
Jacques Lacarrière (1925-2005) journaliste et écrivain, s’est très tôt passionné pour la Grèce,
aussi bien antique que moderne. Son ouvrage, L’Été grec, est à la fois un essai, un carnet
de voyage et un hommage rendu au peuple et à la terre grecs. Il semble écrit au fil de ses
découvertes.
« Il est difficile de définir avec précision les frontières séparant ce que j’appellerai
l’hospitalité rituelle – celle que l’on reçoit par principe dès qu’on se trouve dans un village
grec ou crétois dépourvu d’hôtel – de l’hospitalité réelle, celle que l’on vous propose parce
que l’on tient à vous avoir, à vous garder. Passer de l’un à l’autre, devenir hôte recherché
après n’avoir été qu’hôte accueilli, ne dépend plus que de vous-même. Ce changement repose
sur mille attitudes de détail, mille signes devenus aujourd’hui sans valeur mais qui ont dû
jouer un grand rôle autrefois quand l’hospitalité était le seul mode d’accueil et de rencontre
des groupes ou des individus. Ces signes ? Eh bien votre tête, pour commencer, l’impression
immédiate que vous donnez avec votre regard, votre visage (car l’habillement, l’allure ne
viennent que bien ensuite : ceux-là on peut les fabriquer comme on veut, se donner l’apparence
qu’on veut mais on ne change pas le sens, la profondeur ou la malignité de son regard),
impression qui repose bien entendu sur quelque substrat inconscient et qui fait qu’on vous
ressent d’emblée comme bénéfique ou indifférent, amical ou hostile, proche ou lointain. Et
puis votre attitude, votre comportement à l’égard du nouveau milieu et de ses habitudes (ce
qui n’est pas toujours sans problèmes concrets, drôles ou pénibles selon les cas), attitude
qui doit faire de vous un hôte à la fois invisible et présent : invisible parce que vous devez
oublier vos propres habitudes, vous fondre autant que possible dans le nouveau milieu,
présent parce qu’au fond, ce qu’on attend de vous n’est pas que vous deveniez brusquement
crétois pour un seul soir, mais d’être et de rester un visiteur français chez les Crétois, avec
tout ce que vous pouvez apporter, fournir à votre tour d’insolite ou simplement de méconnu.
Ces remarques paraîtront peut-être banales et superflues et pourtant, ces voyages dans
la Crète du sud où, pendant des jours et des jours je n’ai vécu qu’ainsi, de village en village,
de familles en familles, d’hôtes en hôtes,
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