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Commentaire sur le poème Un Hémisphère dans une chevelure de Charles Baudelaire

Mémoires Gratuits : Commentaire sur le poème Un Hémisphère dans une chevelure de Charles Baudelaire. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  30 Mars 2014  •  3 616 Mots (15 Pages)  •  1 357 Vues

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Commentaire

Pour Baudelaire, une des fonctions de la poésie est de «transformer une rêverie en œuvre d'art». Or lui procurait plaisir et rêverie la contemplation de la beauté féminine, et spécialement celle de la chevelure de sa maîtresse, la mulâtresse Jeanne Duval qu’il appelait «la Vénus noire», chevelure au parfum «sauvage et fauve», à l’odeur d’huile de coco, de musc et de goudron dont elle était tout imprégnée. Y revenant avec prédilection, il lui consacra plusieurs poèmes de son recueil ‘’Les fleurs du mal’’ : ‘’Parfum exotique’’, ‘’Le parfum’’ (dans ‘’Un fantôme’’) et surtout celui-ci.

Mais ‘’La chevelure’’, où Baudelaire reprit le thème qu'il avait traité dans ‘’Parfum exotique’’, ne figurait pas dans la première édition des ‘’Fleurs du mal’’, ne fut publiée que le 20 mai 1859, dans ‘’La revue française’’, avant d’être placée juste après ‘’Parfum exotique’’ dans la seconde édition du recueil. On peut supposer que le poème fut écrit entre 1857 et 1859, antérieurement au poème en prose correspondant, ‘’Un hémisphère dans une chevelure’’. Il aurait pu trouver son origine dans les sensations instinctives que Baudelaire avait pu éprouver alors qu’enfant il était déjà sensible à l’odeur d’une chevelure de femme, et qu’il prêta à un des enfants de son poème en prose ‘’Les vocations’’ : «J’ai fourré ma tête dans ses cheveux qui pendaient dans son dos, épais comme une crinière, et ils sentaient aussi bon, je vous assure, que les fleurs du jardin à cette heure-ci.» D’autre part, la célébration de la chevelure fut un thème traditionnel ; mais la comparaison que nous pouvons faire entre les vers de Baudelaire et ceux de ses prédécesseurs permet de mieux comprendre son originalité : ce qui était, chez eux, expression d’un plaisir purement sensuel devint chez lui invitation à rêver.

Alors que ‘’Parfum exotique’’, resserré dans le cadre strict et étroit du sonnet, se réduit à une rapide esquisse, ‘’La chevelure’’, poème au caractère invocatif et incantatoire, présente un ample et complet développement du thème et des images, sa liberté d’invention en faisant l’un des plus modernes des ‘’Fleurs du mal’’. Il comprend sept quintils, où la disposition des rimes, abaab, donne la prépondérance à la rime féminine, suscite un rythme incantatoire. Devant cet ensemble, on peut distinguer cette composition :

- La première strophe montre la force de suggestion de la chevelure.

- Les deuxième, troisième et quatrième strophes déploient des images exotiques.

- Les cinquième et sixième strophes sont envahies par l’ivresse.

- La dernière strophe exprime une soumission reconnaissante à la chevelure.

Première strophe :

Dans cet hymne à la chevelure, le poète manifeste d’emblée une exaltation que marquent les coups de gong que sont les «ô» vocatifs créateurs d’une incantation, comme le rythme exclamatif des premiers vers, qui imiteraient le mouvement d’un sonnet de Louise Labé : «Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés / Ô chauds soupirs», ce qui ne doit pas étonner quand on sait I'admiration de Baudelaire pour l’ancienne poésie.

Le premier vers traduit par sa coupe expressive (3/9) l’ample mouvement d’une chevelure soudain dénouée, et qui se déploie. Il rend d’abord l’impression physique, l'émotion sensuelle que faisait ressentir au poète le caractère animal de la chevelure de Jeanne Duval, cette Haïtienne de Jacmel que Théodore de Banville décrivit dans ses ‘’Souvenirs’’ : «C’était une fille de couleur, d’une très haute taille, qui portait bien sa brune tête ingénue et superbe, couronnée d’une chevelure violemment crépelée, et dont la démarche de reine, pleine d’une grâce farouche, avait quelque chose à la fois de divin et de bestial.» Cette bestialité est d’ailleurs bien indiquée par les mots «toison» (qui évoque le pelage laineux des ovidés, ce qui est confirmé par «moutonnant») et «encolure» (qui évoque une cavale).

Le deuxième vers, qui est lui aussi coupé de façon très irrégulière, apporte deux précisions dans la sensation. À la vision générale, rapide, de la toison dans son ensemble succède la perception des boucles qui la forment. Surtout, à peine évoquée la chevelure elle-même, le poète, volontairement, ne la considère plus que comme une médiatrice pour ne s’intéresser quà son «parfum», intérêt qu’il manifesta dans nombre de ses oeuvres, se révélant comme un olfactif, un amateur de parfums, les considérant comme un des stimulants les plus riches et les plus évocateurs, ayant pour lui un pouvoir particulier car ils sont à la fois les corps et la négation des corps. À ce parfum lourd de sensualité est attribué, par une véritable correspondance et par le redoublement des «ch» («chargé de nonchaloir»), une grande force de suggestion (confirmée au vers 10), une incitation au «nonchaloir» (mot du XIIe siècle qui était tombé en désuétude après le XVIe siècle pour réapparaître chez les poètes du XIXe siècle, Gautier en particulier, Baudelaire l’ayant adopté à sa suite) ; mais, en fait, ne liait-il pas le parfum à l’indolence, à la tendance à la paresse, qu’il constatait chez sa maîtresse? L’expression évoque à la fois une attitude, un climat, des milieux divers : elle fait penser au boudoir de la femme aimée, et prépare «l’alcôve obscure», mais plus encore la «forêt aromatique» où des femmes langoureuses se préparent à l’accueil des voluptés calmes.

Le poète réussit ainsi à s'évader de lui-même. D’où, au vers 3, une dernière exclamation d’un seul mot : «Extase !», mot au départ de valeur toute religieuse mais qui, ici, par transposition, s'applique à un enthousiasme tout à fait terrestre. L’emploi de ce mot isolé participe de cette discontinuité qui allait devenir de plus en plus un caractère de la poésie moderne, dans laquelle des éléments sont simplement juxtaposés et non organisés en phrases cohérentes.

Comme la sensualité du poète se nourrissait plus des suggestions de la chevelure que des plaisirs plus charnels que pouvait lui donner le corps de sa maîtresse, il a besoin de «peupler» «l’alcôve obscure» avec, ce qui est révélé au-delà d’un enjambement qui crée une attente, «les souvenirs» qui, en réalité, ne dorment pas dans la chevelure de Jeanne Duval, mais sont réveillés dans son esprit à lui qui, du fait qu’elle

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