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Commentaire de texte le ravissement de Lol V Stein de Marguerite Duras

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Par   •  13 Février 2021  •  Commentaire de texte  •  4 922 Mots (20 Pages)  •  844 Vues

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        En 1964, Marguerite Duras publie Le ravissement de Lol V Stein , un roman s’inscrivant dans le sillage de l’esthétique du Nouveau Roman, appelation donnée à une constellation d’auteurs ayant participé au renouvellement des conventions du genre. L’extrait se situe à la fin de l’oeuvre alors que le couple s’apprête à se rendre à T. Beach, lieu de l’évènement traumatique subi par le personnage éponyme du roman. En effet, au cours de la nuit du bal du casino de cette station balnéaire, la jeune femme a assisté au coup de foudre réciproque de son fiancé, Michael Richardson, pour la dernière venue du bal, Anne Marie Stretter. Ce choc affectif a plongé la jeune femme dans une profonde crise identitaire. En effet, au lieu d’en être accablée, la jeune femme fut transportée dans un bonheur proche de l’extase révélant ainsi la structure particulière de son désir. Tout le récit est mené du point de vue de Jacques Hold, son amant qui, envoûté par le mystère qu’incarne Lol V Stein, va tenter de faire la lumière sur la jeune femme afin de comprendre la nature de sa relation avec elle. Le passage relate donc le moment des retrouvailles du couple sur le quai de la gare. Nous allons tenter de montrer de quelle manière l’auteure détourne les normes du roman traditionnel afin d’exposer la conscience chaotique de ses personnages. En premier lieu, ce passage contient l’aveu de l’échec du projet du narrateur. Il s’avère en effet incapable de percer l’énigme que constitue Lol, ce qui l’empêche de comprendre l’expérience qu’il vit depuis sa rencontre avec elle. La faillite de ce projet aboutit donc à l’impossibilité de conclure ce récit sur un dénouement et c’est donc toute l’intrigue romanesque qui s’en trouve subvertie. Ensuite, il s’agit pour l’auteure de montrer comment l’intégrité des personnages est menacée par la toute puissance leurs affects et de leurs pulsions et de quelle manière ils se trouvent dépossédés d’eux-mêmes. Enfin, nous montrerons que l’enjeu essentiel de ce roman se situe ailleurs. L’auteure utilise la fiction comme prétexte pour engager une réflexion autour des limites du langage et de ses possibilités en tentant d’exprimer autrement des états psychiques et des situations relationnelles s’inscrivant dans le défaut de la langue.

                                                        

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        Dans cet extrait, Jacques Hold reconnaît son incapacité à saisir l’identité de Lol ainsi que son échec à comprendre l’histoire qu’il vit avec elle. Cette révélation nuit à la clôture de l’intrigue qui, en tant que convention romanesque, s’en trouve subvertie afin de retranscrire une vision du monde plus accord avec le réel. Ainsi, Jacques Hold, personnage narrateur caractéristique du roman d’introspection admet que Lol lui « est inconnaissable ». Le préfixe in- exprime la négation de toute connaissance posssible à son sujet. Il s’agit en effet pour l’auteure de montrer les limites de toute démarche rationnelle pour parvenir à saisir la complexité de l’être trop mouvant et morcelé en plusieurs instances contradictoires. L’emploi du connecteur logique exprimant la cause « puisque » montre les tentatives du personnage à persévérer dans une démarche faisant appel à la raison. Cette nécessicité du personnage à persister dans une appréhension rationnelle de la situation se manifeste par ailleurs par l’emploi du polyptote « sait », « sut », « sauront ». La construction disloquée de la phrase « Il n’y a strictement de cette joie, qui ne peut se voir, que la cause. » rejetant le sujet « cause » en fin de phrase, souligne à la fois l’importance pour le narrateur de comprendre Lol en faisant appel à la logique mais en souligne également l’échec. En effet, la destructuration de la syntaxe fait ici écho à la destructuration mentale du personnage qui est happé par son propre récit et peine à comprendre ce qui lui arrive. L’isotopie de l’aveuglement présente dans l’extrait, met en exergue l’impossibilité de connaître Lol. En effet, la répétition du verbe «brille» relatif au minerai de chair (les yeux de Lol), qui sont eux-mêmes métonymiques du personnage insiste sur cette idée. La métaphore du minerai évoque l’éclat aveuglant de la pierre précieuse, et la répétition de ce substantif insiste également sur cette idée. Par ailleurs, Lol apparaît trop contradictoire pour parvenir à la comprendre. Le caractère antithétique du personnage est nettement souligné dans l’extrait. Plusieurs structures parrallèles mettent en valeur les contradictions du personnage, « à côté de moi séparée de moi », « Celle qui ne l’est pas. Et celle qui l’est ». L’oxymore « gouffre et soeur » insiste sur la dimension paradoxale de la jeune femme, qui oscille entre proximité et distance. La dualité de Lol la rend si insaisissable pour Jacques qu’elle lui apparaît comme la négation de l’une par l’autre: « elle a été la femme du champs de seigle derrière l’Hôtel des Bois. Celle qui ne l’est pas. Et celle qui l’est dans ce champs et à mes côtés. » L’alternance des phrases affirmatives et négatives qui se contredisent l’une l’autre montre la perplexité du narrateur. C’est aussi l’unité compromise du sujet qui ainsi soulignée puisque la jeune femme est présentée comme double comme l’indique l’emploi du substantif « deux » la désignant. C’est à un sujet fragmenté et contradictoire emblématique du Nouveau Roman que nous sommes confrontés. Par ailleurs, la difficulté à la connaître tient également du fait de son néant intérieur qui est souligné par l’emploi de l’image du « gouffre ». L’allusion à son « ombre » renvoie à l’aspect fantomatique du personnage. Son vide intérieur peut se lire dans l’anonymat recherché par la jeune femme. En effet, la couleur grise de son manteau suggère l’impersonnalité de celle-lui. Le substantif « uniforme » évoque l’idée de confusion dans la masse, d’indistinction renvoyant à la notion d’anonymat. La répétition de la locution prépositionnelle « dans son » (manteau gris; uniforme de S Thala) crée un effet d’insistance relative à son incapacité à incarner une identité. La périphrase « la femme du champ de seigle derrière l’Hôtel des bois » souligne là encore l’anonymat de Lol par l’emploi d’un terme générique « femme » favorisant l’estompage individuel au profit du général, de même que l’emploi de la locution nominale « être humain ». L’usage de l’article indéfini « un » participe d’ailleurs de cet effacement identitaire. La référence au minerai, à la pierre, traduit l’immobilisme, la pétrification de Lol tout comme l’indique son nom patronymique, Stein, qui en allemand signifie pierre. Enfin, la distance entre les deux personnages est mentionnée à plusieurs reprises dans le texte, notamment avec l’emploi de l’adverbe « loin » et de l’adjectif « séparée » ce qui souligne l’échec de leur relation. Ainsi, nous sommes proches de la fin du roman et pourtant Lol apparaît toujours aussi opaque pour son amant et dans ces conditions, il apparaît impossible pour le narrateur de parvenir de comprendre l’histoire vécue avec elle. L’auteur emploie donc à dessein la structure éclatée, diffuse du monologue intérieur afin de restituer le chaos de la conscience du narrateur qui produit un discours extrêmement ambivalent sur l’histoire qu’il vit avec la jeune femme, entre proximité et distance, désir de capture et forme de renoncement à pouvoir se saisir de cette femme, comme nous le verrons par la suite.

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