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Anthologie Poésies Sur Le Voyage

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Par   •  28 Avril 2013  •  5 712 Mots (23 Pages)  •  1 336 Vues

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LE CERCLE COMME IMAGE DU TEMPS DANS CALLIGRAMMES

par Philipp REHAGE

Dans ses Métamorphoses du cercle, Georges Poulet a esquissé l'histoire du motif dans la littérature depuis la Renaissance jusqu'au XXe siècle. Apollinaire ne figure pas parmi les poètes que traite Poulet. Et pourtant, il aurait mérité d'y occuper une place de choix. Ne serait-ce qu'en feuilletant le recueil des Calligrammes 1, on se rend compte de la prédominance déjà figurative du cercle. Claude Debon constate :

Le cercle est présent dans presque tous les calligrammes figuratifs.2

Et Jean Levaillant de remarquer :

Quant aux structures de composition (des calligrammes], on peut aisé¬ment dégager quelques modèles fondamentaux [.. ] D'abord, et en évidence, le cercle et la ligne.3

Il n'est pas étonnant que quelques-uns de ces cercles aient une valeur temporelle tout en suggérant l'image du cadran. Le thème du temps est, on le sait, omniprésent dans l'oeuvre d'Apollinaire; les nombreuses études se référant à ce sujet l'ont d'ailleurs montré 4.

Mais le cercle comme image du temps apparaît aussi de façon implicite dans Calligrammes, à savoir par des indications temporelles à valeur symbolique ou par des symboles proprement dits. Quant à l'aspect sémiotique, l'image circulaire du temps a une triple signification dans Calligrammes : le chemin de la vie à la mort et le retour de la mort à la vie, la renaissance. Dans ces deux cas, le sommet du cercle — midi ou minuit sur le cadran — joue un rôle fondamental; c'est là que les heures soit s'achèvent, soit recommencent. Dans une troisième version de l'image du cercle, les marques du cadran sont absentes : c'est alors que le temps s'écoule indifféremment, sans commencement ni fin, qu'il donne même l'impression de s'arrêter, d'être immobile. Cette dernière signification reflète l'expériecne du temps qu'Apollinaire a faite en tant que soldat au front. Observons de plus près maintenant ces trois formes du cercle comme image du temps.

1. «La roue est devenue plein cercle» — le temps s'accomplit

[49]

C'est dans le calligramme «La Cravate et la montre» que le caractère temporel du cercle se révèle le plus aisément. rar un cadran y eut représenté explicitement. Pour la lecture de la «montre», un problème se pose d'emblée celui de savoir par où commencer. Il faut lire — ce qui n'eut pas étonnant — dans le sens des aiguilles d'une montre, car l'énoncé «Mon coeur», qui se trouve à la hauteur de «l heure» est écrit avec une majuscule, et à «11 heures», position actuelle de la grande aiguille, l'énumération des métaphores temporelles se termine par la conjonction «et» : «et le vers dantesque». Jean-Claude Chevalier et Alain-Marie Bassy ont donné des clefs pour ces métaphores énigmatiques et souvent très érudites5 . Il est frappant de constater qu'on ne rencontre parmi elles des notions de temps à proprement parler qu'à deux reprises : «la semaine» (à sept heures) et «les heures» (à midi/minuit). En poursuivant sa lecture — toujours dans le sens des aiguilles d'une montre — le lecteur se met à percevoir l'écoulement du temps. Ses yeux suivent automatiquement le mouvement de l'aiguille. Cette concomitance entre le temps de la lecture et le mouvement de l'aiguille, que provoque le parcours des unités de cinq minutes entre les symboles des heures, est encore plus réaliste dans le demi-cercle extérieur. Les syllabes détachées de «la/beau/té/de/la/vie...» en tant qu'unités les plus petites du mot ressemblent à des secondes qui tomberaient comme des gouttes, des secondes qui, à leur tour, représentent les plus petites unités de temps.

Il est évident que la position de midi a une valeur temporelle symbolique; c'est le symbole de la mort : «Et tout sera fini». À «midi moins cinq», ce symbole est déjà évoqué : «le vers [...] cadavérique», et le vers extérieur sur la droite parle de «la douleur de mourir». Mais le je lyrique semble bien aimer cette vie au seuil de la mort (les aiguilles montrent «midi moins cinq»), car le remontoir se compose des mots «comme l'on s'amuse bien» et, en outre, il est question de la «beauté de la vie». Cette volonté de savourer l'instant, de jouir de la vie malgré la fin imminente surgit, semble-t-il, de ce sentiment d'une «danse sur le volcan» qui exista juste avant que la Première Guerre mondiale éclate (le poème a été publié en juillet-août 1914). Le je lyrique semble même souhaiter vivement cette approche de la mort : «Il/est/-/5/en/ fin». Le mot enfin par la division de la syllabe -fin entre en contact avec le mot fini qui se trouve à sa droite.

Outre le sommet du cercle symbolisant la mort, un autre point est d'im¬portance : celui qui est situé en face. En effet, «six heures» marque pour ainsi dire la moitié de la vie, et c'est là où l'aiguille jusqu'alors descendante change de direction en s'approchant désormais progressivement de la mort. Le mot énigmatique «Tircis» a suscité nombre d'exégèses. Je voudrais en ajouter une qui s'accorde avec l'image du cercle de la vie. Dans la poésie pastorale de Racan (1589-1670) se trouvent les vers suivants :

Tircis, il faut penser à faire la retraittc,

La course de nos jours est plus qu'à demy faite,

L'âge insensiblement nous conduit à la mort

II est possible qu'Apollinaire fasse allusion à ce poème qui compte parmi les plus célèbres de Racan6.

La phrase «La beauté de la vie passe la douleur de mourir» est ambiguë : on peut comprendre «passe» au sens de «dépasse», c'est-à-dire que la joie de vivre l'emporte sur l'horreur de la mort Dans ce cas, on lirait cette phrase seulement après la «frontière» que marque midi et commencerait ainsi un nou¬veau cercle. La présence de la minuscule confirme cette thèse; cf. supra mes remarques concernant le début de la lecture. Cette phrase exprimerait alors le triomphe de franchir la frontière de la mort, car la lecture dépasse la marque de midi. Une autre possibilité serait de rapporter le prédicat «passe» aux deux groupes nominaux - passer prenant alors le sens de «disparaître». Il en résulterait

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