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Annie Ernaux, Mémoire de fille, (p.47 à 49)

Commentaire de texte : Annie Ernaux, Mémoire de fille, (p.47 à 49). Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  26 Mars 2020  •  Commentaire de texte  •  2 099 Mots (9 Pages)  •  1 272 Vues

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Annie Ernaux, Mémoire de fille, (p.47 à 49)

Le passage analysé correspond au moment où Annie Ernaux fait une pause sur le récit et revient sur sa première relation sexuelle avec un homme. Elle restitue une seconde fois cette scène, avec une grande précision, les gestes et les mots échangés avec cet homme qui, de surcroît, est le moniteur-chef de la colonie de vacances où elle travaille.

Il est intéressant de relever pour l’analyse de ce passage que, dès les premières pages de son livre, Annie Ernaux explique l’importance qu’elle éprouve d’écrire sur la fille de 58 qu’elle fut car « Un jour il n’y aura plus personne pour se souvenir. Ce qui a été vécu par cette fille, nulle autre, restera inexpliqué, vécu pour rien » (p.19). Plus particulièrement, lors de l’été 58 où cette dernière rejoint la colonie qui l’a engagée en tant que monitrice. A cette période, c’est une fille aux rêves innocents qui attend de vivre une histoire d’amour et qui « crève d’envie de faire l’amour mais par amour seulement ». Ce passage représente sa première nuit d’amour qui s’est transformée en une scène brutale où elle s’est soumise à la volonté de son amant sans prendre en compte de ses propres envies et désirs.

L’axe de lecture que je souhaite mobiliser pour mon analyse est le rapport dominant-dominé et où Annie Ernaux traite la place qu’elle a pris volontairement ou non dans ce rapport. Je propose de diviser le texte en trois parties. La première est constituée des lignes 1 à 21, qui forment la partie où la passivité d’Annie Duchesne est rendue manifeste. La deuxième comporte les lignes 22 à 38, qui illustrent l’ambiguïté existante quant à sa participation et sa soumission. La troisième concerne les lignes 39 à 54 qui seront consacrées à la retranscription du langage masculin.

Dès la première partie, on remarque dans le discours métatextuel de l’auteure son incapacité à trouver la moindre pensée ou un quelconque sentiment chez la fille de 58, comme si on lui avait retiré ses propriétés d’être humain et qu’elle était reléguée au rang de chose. Cela vient se confirmer à la première phrase du second paragraphe, aux lignes 6 à 8, où la fille de 58 n’existe pas en tant que sujet. Elle apparait par le biais du pronom personnel « la » qui la fait apparaître comme un objet inanimé. L’homme est l’agent ainsi que le sujet des verbes d’action ou de prise de parole, ce qui prouve sa domination. Par ailleurs, il est celui dont la réaction est exprimée explicitement, on le voit particulièrement lorsqu’elle lui offre du chocolat, « il s’en amuse » (l.10) cela ressort comme s’il était le seul à pouvoir extérioriser son avis et celui-ci porte un jugement en disant « quand tu seras payée achète plutôt du Whiskey ! ». D’une part, il lui rappelle son simple statut d’employée et, d’autre part, qu’il sait, lui, ce qui est bon pour elle, sous-entendant que ces choix sont irréfléchis. La narratrice, en qualifiant le whisky d’« alcool chic » (l.12), a peut-être voulu faire référence à la classe sociale à laquelle H devait sûrement faire partie, soit une classe sociale supérieure à celle d’Annie Duchesne. Dans cette partie, on a la confirmation qu’il est question de pouvoir dans leur rapport. Pour le démontrer, Annie Ernaux insiste sur la supériorité de H avec l’utilisation du pléonasme lorsqu’elle écrit « sa chambre à lui, qu’il occupe seul » (l.16), alors qu’elle, avec son statut de simple monitrice, est en situation d’infériorité par rapport à lui. En allant avec lui, elle ne supposait même pas ce qui allait arriver ; pour elle, c’est H qui l’a choisie et « Elle ne se demande pas s’il lui plaît, si elle le trouve beau (…) pour elle, c’est un homme fait, plus en raison de sa fonction que de son âge (…) il est pour elle du côté de ceux qui dirigent » (p.45).

De plus, lorsqu’elle dit à la ligne 3 « La fille assiste à ce qu’il lui arrive », cela vient montrer la passivité dans laquelle elle se trouve face à cet homme. Les seuls moments où elle agit sont soit pour le servir « Elle lui offre » (l.9) ou soit pour agir en fonction de lui « Elle le suit » (l.15). Chez Annie Duchesne, cela va au-delà de la passivité, il est question d’aliénation car elle s’est dépouillée d’elle-même au profit de H qui la domine jusqu’au point où elle « abdique toute volonté, elle est entièrement dans la sienne » (l.17-18), son assujettissement est ici rendu comme un fait indiscutable. La précision apportée dans la phrase suivante, du fait qu’elle est « Dans son expérience d’homme » (l.18) aurait pu figurer dans la phrase précédente mais l’autrice a décidé de mettre ce groupe nominal en évidence pour appuyer le fait qu’il ne s’agit pas d’une volonté propre à H mais d’une volonté générale qui lui est nécessaire pour confirmer sa domination : cela implique que c’est à la femme d’entrer dans cette expérience-là, et non l’inverse. Elle n’est pas uniquement dans un rapport de domination hiérarchique mais dans une autre dimension qui relève d’une domination masculine. Tout au long du récit, la parenthèse est à chaque fois une sorte de complément d’information pour le lecteur afin de lui apporter une précision importante. En l’occurrence, dans ce passage elle ne sait pas ce qu’il y a dans la pensée de l’homme, si elle en tant que sujet est présente dans celle-ci alors que lui est bien présent dans la sienne et c’est pour cette raison qu’elle en fait un objet de langage puisque c’est elle qui maîtrise le texte en tant qu’instance narrative.

Dans le récit entier, il y a deux temporalités qui se chevauchent, celle de l’histoire racontée c’est-à-dire celle d’Annie Duchesne, ainsi que le temps de celle qui raconte, soit celle d’Annie Ernaux. Ce chevauchement s’apprécie davantage dans ce passage car il y a une opposition entre le « elle » de la fille de 58 et le Je-narrant qui a un rôle d’observatrice commentant sa propre vie. Annie Ernaux ne cherche pas à culpabiliser la fille de 58. Au contraire, elle tente de démontrer qu’elle est également active sans même savoir la signification de ses actes. Lorsqu’elle rejette la résignation au profit du consentement aux lignes 22 et 23, c’est une manière d’émettre l’hypothèse d’une lucidité chez Annie Duchesne. De plus, utiliser le terme de « collabore » (l.24) est fort étant donné qu’il fait référence à la Seconde Guerre Mondiale où la collaboration était le fait de coopérer avec l’ennemi. Cette utilisation n’est pas anodine et vient renforcer le fait qu’elle s’associe à H lors de leur relation sexuelle où, pourtant, « Il force. Elle a mal » (p.46). Cette coopération se manifeste par la fellation qu’elle effectue pour qu’il puisse la pénétrer. En revanche, pour H il n’est pas question de coopération puisque, pour lui, il a le dessus sur elle. C’est lui qui a le contrôle de la pénétration, elle doit se faire en toute simplicité et si ce n’est pas le cas en aucun il en sera fautif comme l’indique les lignes 26 et 27 « Il a admis, pour l’excuser, elle : « je suis large. » ». On observe deux compléments au verbe « excuser » qui représentent la fille de 58 – le « l’» et le « elle » – qui servent à insister sur sa responsabilité à elle quant à l’échec de la pénétration. Il n’y aucune remise en question chez l’homme, il cherche même à trouver une fausse excuse pour camoufler cela en invoquant la grosseur de son membre. Dans ce passage, l’acte sexuel ne suppose pas un moment sensuel où la femme pourrait jouir. Au contraire, il résonne comme un moment brutal où H ne comprend pas la non-réaction de sa partenaire qui pourtant a une solution pour y remédier mais qu’elle n’expose pas puisqu’à cette époque « l’homme propose, la femme dispose. » (p.68) Autrement dit, l’avis de la femme n’entre pas en considération, toutes les initiatives doivent venir de l’homme. Le discours rapporté indirect « Il répète qu’il voudrait qu’elle jouisse »(l.28) n’indique pas en quels termes précis il a formulé sa volonté de la voir jouir, on peut supposer qu’il était dans une posture dominante. La phrase de la ligne 32 « c’est une chose honteuse à demander pour une fille. », sa tournure, qui apparait comme une vérité absolue intériorisée par les hommes de cette époque, vient confirmer le fait que la femme n’a pas à demander quoi que ce soit dans la sexualité. Elle doit satisfaire l’homme et c’est lui qui doit commander la manière dont elle doit le faire.

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