Acte 5 Scene 4 Le Misanthrope de Molière.

Lettres et portraits

ƒ La lecture des lettres envoyées par Célimène à Acaste et à Clitandre, qui

occupe le début de la scène, rappelle étrangement la « scène des portraits » de

l’acte II. En effet, Célimène y dresse pour un public favorable le portrait au

vitriol de tous ses autres amoureux, à l’insu de ceux-ci. Toutefois, la situation

d’énonciation (la lettre est ici récitée publiquement à toutes les victimes de la

plume acérée de Célimène) change radicalement la portée d’une telle charge

satirique : alors que dans la « scène des portraits », Célimène était l’objet de

l’admiration de son public, dans cette scène, les amoureux sont contraints d’être

les auditeurs d’un esprit qui s’exerce à leurs dépens, et ils se « vengent » de

Célimène. La scène joue donc sur une caractéristique propre à l’écriture

épistolaire : l’énonciation différée, qui permet un jeu imprévu de déplacement

entre les destinataires prévus et les destinataires réels. Tout se passe comme si le

cinquième acte présentait une réécriture de la scène des portraits, mais qui se

retournerait contre Célimène.

ƒ Le portrait d’Alceste, l’homme aux rubans verts, détonne par rapport aux

autres portraits : malgré le ton désobligeant sur lequel il est rédigé, il est en effet

beaucoup moins blessant que les autres ; en effet, alors que les autres portraits

visent à rendre une vision figée du caractère du personnage, son essence – et

celle-ci est bien souvent la bêtise –, le portrait d'Alceste exprime bien plutôt les

sentiments changeants que Célimène éprouve à son égard (il me divertit

quelquefois… mais il est cent moments où je le trouve le plus fâcheux du

monde). En outre, Célimène ne donne aucune des raisons qui lui font trouver

Alceste fâcheux, alors qu'elle explique en quoi il la divertit ; elle ne pointe pas

les défauts d'Alceste, mais seulement l’incompatibilité de son caractère avec le

sien propre.

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