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Tous Les Matins Du Monde

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Par   •  22 Janvier 2014  •  8 577 Mots (35 Pages)  •  1 063 Vues

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CHAPITRE I

LE ROMAN ET SON ECRIVAIN

Au moment où paraît Tous les matins du monde, en 1991, Pascal Quignard a publié, depuis 1969, plusieurs romans, contes et essais. Indifférent aux modes de son époque, il a choisi sa voie dans une période épuisée par l'influence des sciences humaines. Présenté comme un roman, le texte de Tous les matins du monde est marqué par sa particularité narrative. Bref, précis, s'approchant au genre de la biographie, le roman est raconté sous une forme inhabituelle des œuvres et des catégories traditionnelles. Repoussant les conventions classiques du roman, pour leur continuité et leur répétition, Pascal Quignard est attiré par la forme dite « écriture fragmentaire ». Autrement dit, l'éloquence du fragment semble bien associer avec la poétique de l'auteur et l'on peut comprendre ce qui l'attire dans cette forme. Il refuse la forme romanesque traditionnelle pour raconter une histoire en toute simplicité dans laquelle chaque chapitre gardant son indépendance, est posé l'un à côté de l'autre sans aucun effort pour mettre en relation ces morceaux de récit. C'est ainsi que Pascal Quignard crée, comme le grand peintre Georges de La Tour, des effets d'ombre et de lumière pour dire moins et pour faire entendre plus. L'auteur jette la lumière sur l'histoire qui est en train de raconter et garde dans l'ombre de silence tout ce que le langage est incapable d'exprimer.

Bref, Pascal Quignard n'a pas essayé d'écrire la vie de Monsieur de Sainte colombe dont les dictionnaires ignorent son nom, au contraire, il a utilisé de l'obscurité qui l'a entouré pour créer un personnage inoubliable qui ne survit que par sa musique et sa musique n'existe que par un dialogue passionnant avec la mort.

1.1 Un écrivain chercheur

Pascal Quignard est né le 23 avril 1948, à Verneuil-sur- Avre, en Normandie ; il est le cadet de quatre enfants. Bien qu'il ne parle guère de ses frères et sœurs, mais souvent il préfère de rappeler dans ses œuvres et ses entretiens, la double tradition familiale dont il hérite. Ainsi il écrit :

La famille de ma mère était composée de grammairiens, comme la famille de mon père comptait, sur cinq générations, une soixantaine de musiciens .

Son père, professeur de lettres classiques, puis proviseur, descend d'une longue lignée de musiciens, plus particulièrement d'organistes, qui ont exercé leur talent, trois siècles durant, en Allemagne, dans le Wurtemberg, mais aussi en France et aux États-Unis. Sa mère, quant à elle, également professeur de lettres classiques, est issue d'une famille de professeurs, dont le représentant le plus illustre est son propre père, le linguiste Charles Bruneau (1883-1969), l'auteur, avec un autre linguiste, Ferdinand Brunot, d'une Histoire de la langue française, qui fit longtemps autorité.

Un tel milieu a mis une impression profonde sur l'enfant et a formé ses goûts précoces pour la musique, le chant et surtout les questions posées par le langage ; c'est ce qu'il explique dans Sur le jadis :

Mon grand-père maternel possédait tous les livres de grammaire qui avaient été écrits ou du moins qui devaient être accessibles à ses recherches. Si je ne dispose plus d'aucun de ses volumes, je n'ai pas cessé de m'émouvoir à la moindre locution, à la plus petite étymologie, en quelque langue que ce fût .

Et il avoue, en 1998, dans un entretien avec Catherine Argand, pour le magazine Lire, qu'il continue à jouer du piano, du violon et qu'il arrive « même d'écrire des opéras ».

Mais pourtant son enfance et sa jeunesse ne sont pas passées si heureuses. Dans le premier chapitre de Pascal Quignard le solitaire, il insiste bien sur l'expérience déterminante d'une enfance passée dans la ville du Havre, entièrement ruinée par les bombardements de la guerre, où les écoles se logeaient dans les barques en bois. Ville qui présentait non seulement les blessures d'un événement historique mais qui évoquait les blessures de l'humanisme écrasé sous la botte du fascisme :

La fenêtre donnait sur le port du Havre. C'étaient des ruines, des abeilles, des quais, des rats. C'étaient aussi des sirènes […] J'avais six ans. Je lisais les contes, les légendes […]. Je lisais la légende de Polyxène et du tyran de Syracuse .

À deux reprises, à dix-huit mois puis à seize ans, il passe une période de mutisme et d'anorexie qui menacent sa santé et dont il se libérera respectivement grâce à son oncle, ancien déporté à Dachau, et à la lecture. Il déclare à ce propos : « Ce silence, c'est sans doute ce qui m'a décidé à écrire, à faire cette transaction : être dans le langage en me taisant ». Il termine néanmoins ses études secondaires au lycée de Sèvres, dans la banlieue parisienne. En 1966, il s'inscrit à la faculté de Nanterre pour suivre les cours de deux philosophes renommés : Emmanuel Levinas et Paul Ricœur. Il y obtient une licence de philosophie, en 1968, l'année de la révolte étudiante qu'il considère avec une certaine sympathie mais qui l'éloigne de la philosophie.

En 1968, il publie chez Gallimard son premier livre, un essai sur un poète lyonnais du XVIe siècle : Maurice Scève et sur son chef-d'œuvre Délie (1544). À cette occasion, il est remarqué par le romancier René-Louis des Forêts qui l'entraîne dans l'aventure d'une revue L'Éphémère à laquelle participeront des écrivains aussi prestigieux que Michel Leiris, Paul Celan, Henri Michaux ou Pierre Klossowski dont les œuvres le marqueront profondément.

En 1969, il publie un autre essai sur Léopold Von Sacher-Masoch, et les éditions Gallimard lui proposent alors un poste de lecteur. Et pendant plus de vingt ans, il va travailler pour cette maison d'éditons, d'abord comme lecteur professionnel puis comme membre du comité de lecture à partir de 1976, et comme membre du comité de Direction, en 1989, enfin comme secrétaire général en 1990.

En même temps, il poursuit des recherches sur des textes méconnus, travaille à une édition des œuvres complètes de Maurice Scève, effectue des traductions d'auteurs délaissés de l'antiquité grecque et latine, comme Lycophron ou Porcius Latro, et s'intéresse à l'œuvre d'un logicien chinois du IIIe siècle av. J.-C., Kong-Souen Long. Pendant la même période, également, il dispense un enregistrement sur

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