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Étude de la pièce de théâtre En Attendant Godot de Beckett

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Par   •  30 Novembre 2012  •  2 866 Mots (12 Pages)  •  1 748 Vues

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toute lecture d’En attendant Godot se heurte d’emblée à un problème résolument, délibérément insoluble : une structure "impossible" (littéralement non-structure), une incohérence fondamentale du "scénario" de base, l’attente justement du mystérieux Godot. Les deux vagabonds ont-ils rendez-vous avec Godot ? Ils (se) le disent -- (se) le répètent, (se) le proclament, sur un ton qui va de l’évidence au mécanique, de l’urgence à la lassitude. Ont-ils rencontré Godot ? Ils (se) le soutiennent -- mais sur le ton de la fiction, de l’improvisation hâtive, du numéro bien rodé et usé jusqu’à la trame (ou jusqu’à la corde, celle même qui leur manque pour se pendre, ce qui évidemment résoudrait tous les problèmes, y compris et surtout celui de Godot- qui-va-venir-mais-ne-vient-pas). Somme toute, jusque-là ça pourrait encore aller : reste tout de même de quoi échafauder un semblant de compte rendu. Mais voilà qu’à la fin du second acte il appert que nos vagabonds ne savent même pas à quoi ressemble le fameux Godot : "Vladimir. -- Il a une barbe, monsieur Godot?" (135)1. Ils ne l’ont donc jamais vu, jamais rencontré ! Bref, c’est la quadrature du cercle -- sans carré ni cercle, pour faire bonne mesure. (Et, comme si tout cela ne suffisait pas, il faut encore noter que les deux versions, française et anglaise, ne se recouvrent pas exactement, de sorte que l’exégète français et son collègue anglo-saxon risquent, à la limite, de ne pas parler de la même pièce: il n’y a pas, strictement parlant, une pièce, un Godot, mais deux. Beckett, délibérément, vicieusement serait-on même en droit de dire, s’arrange pour encore davantage brouiller les pistes. Qu’en est-il des Godot allemand, espagnol, italien, polonais, russe, etc. ? )

Et pourtant ce même dialogue avec le petit messager nous apprend certaines choses sur Godot : il vit sur ses terres, il a une barbe blanche, il est un maître capricieux, et à part ça il ne fait rien -- mais peut-être lui aussi attend-il quelqu’un ? Suggestion d’un vertige atroce de la contingence, à laquelle n’échapperait personne, ni Godot, ni les couples de déclassés, ni les couples maître-esclave. Mais d’abord qui nous dit que ce petit messager n’est pas aussi un petit menteur (comme dit le proverbe, a beau mentir qui vient de loin) -- sans compter qu’après tout, c’est surtout un acteur, chargé de dire un texte. Car c’est bien à ce niveau que se situe toute la pièce en dernier recours, c’est à ce seul constat qu’aboutit, inévitablement, toute réflexion qui se veut encore un tant soit peu cartésienne. L’unique cohérence de Godot ne tient finalement que dans la réalité concrète, butée, incontournable, du fait théâtral : il y a une scène et une salle, du public et des acteurs -- et puis du texte, et de l’expérience, violemment perplexe sans doute, de tout cela (autant d’ailleurs chez les acteurs que dans le public, s’il faut en croire la chronique). En somme Godot n’est rien d’autre qu’une pièce sur la représentation d’une pièce, uneièce en creux -- une non-pièce en deux mots. Toute tentative d’interprétation, dès lors, se verrait contrainte d’inclure cette dimension métadramatique à sa démarche, sous peine d’être d’emblée nulle et non avenue.

Par contre, la critique dès lors pourrait vigoureusement et avantageusement se retremper : car enfin qu’attendent-ils, qu’espèrent-ils, ces gens qui paient pour venir passer un bout de soirée à regarder quelques types s’agiter et palabrer vaguement sur une scène, sous le fallacieux prétexte d’attendre un mystérieux Godot dont on peut assez vite se douter que jamais il ne daignera venir ? Art ? Rituel bourgeois ? Snobisme ? Monstrueux ennui ? Instinct grégaire ? Peur de la solitude ? Curiosité ? Dépravation esthétique et/ou intellectuelle ? Espérances secrètement métaphysiques d’une quelconque révélation (et si un beau soir Godot arrivait) ? Hybris ou angoisse d’herméneute (il faut que tout ça signifie quelque chose) ? Parce qu’enfin, on est assez tôt prévenu : "Ce n’est pas folichon." (56). Serait-il un tantinet pervers, le spectateur moderne ? Ma foi, lorsqu’on jette un coup d’œil sur le siècle, il y a de quoi se poser des questions : ce n’est vraiment pas folichon. En tout cas, le spectacle est aussi dans la salle...

Mais enfin dans cette pièce (ou non-pièce) il y a tout de même de la scène, du décor, des acteurs : bref de cette fameuse "présence" à laquelle se raccrochait naguère un Robbe-Grillet sans doute à peine moins perplexe que les autres 2 . Mais il y a aussi, avons - nous dit, du texte, du langage autrement dit -- de ce langage qui selon Beckett est bien plus que le rire ("Vladimir. -- On n’ose même plus rire. / Estragon. -- Tu parles d’une privation.", 13) le propre de l’homme. Or, si l’on admet la perspective hégélienne, il convient de considérer que le langage ne présente ni ne re-présente le monde (les choses, bref l’étant et les existants): bien au contraire, il l’absente, le donnant comme un ailleurs, ou aussi bien un néant -- bref, comme, là encore, en creux. Et effectivement, Vladimir et Estragon se révèlent hégéliens dès lors qu’ils parlent de l’arbre du décor :

Estragon. -- Qu’est-ce que c’est ?

Vladimir. -- On dirait un saule.

Estragon. -- Où sont les feuilles ?

Vladimir. -- Il doit être mort.

Estragon. -- Finis les pleurs.

Vladimir. -- À moins que ce ne soit pas la saison.

Estragon. -- Ce ne serait pas plutôt un arbrisseau ?

Vladimir. -- Un arbuste.

Estragon. -- Un arbrisseau.

Vladimir. -- Un -- (17)

Inutile de préciser que l’arbre en question (du moins si l’on en croit les photos de production) n’a strictement rien à voir, ni avec un saule, ni un arbuste ni un arbrisseau. En fait, le mouvement du dialogue ici est double : d’une part, il évacue la chose réelle (l’arbre sur la scène) et d’autre part, il introduit un arbre fictif et d’ailleurs protéen ("saule", "arbuste", "arbrisseau"). Pour faire bonne mesure, il conviendrait sans doute que les acteurs échangeassent ces répliques sans même regarder l’arbre. Celui-ci d’ailleurs se révélera parfaitement inutile dans la pièce, comme le souligne Vladimir : "Décidément cet arbre ne nous aura servi à rien." (1O8). En somme, la nature entière ne

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