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Le limes romain : ligne ou zone frontière ?

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Par   •  11 Décembre 2019  •  Étude de cas  •  2 978 Mots (12 Pages)  •  1 187 Vues

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Dans l’Enéide, Virgile fait ainsi parler Jupiter : « His ego nec metas rerum nec tempora pono : imperium sine fine dedi »[1]. Cette conception d’empire sans fin, est celle relayée par le pouvoir impériale durant les presque cinq siècles que dure l’empire romain jusqu’à la chute de sa partie occidentale en 476.

Pourtant, malgré l’affirmation d’un imperium romanum sur l’ensemble du monde connu, il n’en reste pas moins que dans les faits, l’empire est bordé de frontières. Plus communément appelée « limes », cette limite théorique de l’Etat impérial se matérialise par un ensemble militaire fortifié qu’il sera question de voir plus en détail. Ce terme de limes, bien que communément associé à la partie germanique de la frontière de l’empire, peut également être utilisé pour qualifier l’ensemble du dispositif frontalier de ce dernier (limes porolissensis, limes arabicus…). Son utilisation première est attestée au Ier siècle chez Tacite[2] et Frontin[3].

Afin de présenter une vision générale du limes, nous utiliserons les bornes chronologiques suivantes : de 12 avant notre ère et le début de la campagne militaire d’Auguste qui veut alors étendre l’empire jusqu’à l’Elbe, jusqu’au 31 décembre 406 date symbolique marquant le franchissement du Rhin par plusieurs peuples germains et considérée par de nombreux historiens comme le début de l’effritement puis de l’effondrement du système défensif frontalier romain.

Durant cette vaste période, le système et les stratégies de défenses de l’empire évoluent et s’adaptent en fonction de nombreux facteurs internes et externes. Il est question dans ce dossier de voir quelles sont les caractéristiques principales et stables dans le temps de cet immense complexe militaire. Pour ce faire, il s’agit pour notre propos de revenir dans un premier sur le terme lui-même de limes ainsi que de la représentation contemporaine de ce dernier. Ensuite, dans une deuxième partie, nous verrons que le limes constitue bien plus une sorte de filtre et d’organe de contrôle qu’une réelle frontière infranchissable. Enfin dans une troisième et dernière partie il sera question de présenter les modalités socio-économiques propres de la zone frontalière romaine.

  1. Autour du terme

  1. Représentation collective…

Lorsque l’on regarde les cartes traditionnellement utilisées pour représenter l’empire romain, on trouve de manière écrasante, pour matérialiser ses frontières, une ligne séparant le territoire sous domination des empereurs du reste du monde. Cette conception récente, est issue de la tradition de fabrication et de définition de frontières linéaires, héritière de l’époque moderne puis contemporaine. La conférence de Berlin de 1885 peut être interprétée comme un paroxysme de cette pratique, dans la façon par laquelle durant cette dernière, le continent africain se retrouve strictement délimité par de grandes lignes frontalières.

L’image et les représentations données au limes germanicus, avec une succession de forts paraissant comme alignés notamment sur l’axe Rhin-Danube dans la province des Champs Décumates, ne fait que venir renforcer cette conception (voir annexe 1). Il en va de même pour le mur d’Hadrien, aussi bien dans la représentation littéraire que dans le cinéma, ce dernier est représenté sous la forme d’un rempart hermétique (ou du moins à but hermétique) protégeant la frontière nord de l’Empire sur l’île de Bretagne. Ainsi, il nous est donné une représentation linéaire, en adéquation avec la conception contemporaine de l’idée de frontière. Mais cette dernière n’est pas exclusivement contemporaine, en effet elle est également issue de la pensée aristocratique romaine elle-même, se concevant comme la civilisation face à la barbarie, les limites de l’imperium romanum (ou œkoumène) marquant la séparation entre ces deux mondes.

  1. …et historiographie

Ces conceptions et représentations de la frontière sont également relayées par l’historiographie de la fin XIXème et du début du XXème siècle. Influencée selon l’historien britannique Charles R. Whittaker, par l’impérialisme coloniale de la même époque, cette historiographie est un outil de propagande des puissances coloniales française et britannique dans leurs extensions en Afrique et en Asie. Selon Whittaker toujours : « les auteurs classiques, César, Tacite et les agronomes, étaient souvent cités de façon incorrecte et interprétés de manière impropre : on voulait ajouter l’autorité de l’Antiquité à un concept de frontières naturelles qui, en réalité, n’avait commencé à avoir cours qu’entre le XVIème et XVIIème siècle »[4]. En effet, on peut citer à titre d’exemple, l’historien C.Collin Davies qui dans sa thèse parut au Cambridge University Press en 1932 The problems of the North-West frontier 1890-1908 écrit : « Rome est tombée car ses lignes n’étaient pas assez solides pour contenir le flot des invasions barbares ». On retrouve ici la conception linéaire de la frontière et sa fonction manichéenne de séparer, de protéger le monde civilisé romain de la barbarie. Cette dernière est récurrente chez les historiens européens de la première moitié du XXème siècle. Outre-Atlantique, la question des frontières de l’empire romain ne fait pour ainsi dire pas d’émules.

  1. Histoire et sens premier du terme

A l’origine, sous la république, le terme limes est issu du vocable technique des agrimensores, ce dernier désigne alors des voies de passages construites par l’armée vers des territoires ennemis susceptibles de se voir un jour attaqués puis conquis (s’inscrivant ainsi dans la conception augustéenne d’imperium romanum sine fine).[5] Ces voies de pénétrations sont ensuite progressivement reliées entre elles par un réseau routier lui-même jalonné d’infrastructures militaires comme des tours ou des fortins. Et c’est d’ailleurs bel et bien à cette utilité première de voie d’entrée que va recourir Auguste lors de son invasion puis occupation de la Germania Magna (annexe 1) entre 12 av. n.è et 9 de n.è. Ce n’est qu’après, lorsqu’à la suite de l’anéantissement de la XVIIème, XVIIIème et XIXème légion dans la forêt de Teutobourg et que la peur d’une invasion germanique de l’empire s’empare du commandement romain, que le limes prend dans les faits un rôle défensif. Ce faisant, de nombreuses infrastructures comme des palissades mais également des camps en pierre (castella) fleurissent sur cet ensemble routier aux marges de l’empire. Il est important de souligner que ce phénomène est constatable sur l’ensemble des zones frontalières, menant ainsi à la dénomination de plusieurs limes : arabicus, d’Afrique, Porolissensis etc… Dans les faits alors, le rôle de l’armée n’est plus de repousser infiniment les limites de l’empire, mais de préserver ce dernier contre la menace d’invasion de « bêtes sauvages » (germains, parthes…) venus de l’extérieur conçu comme un antimonde[6].

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