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Voyage Au Bout E La Nuit

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Par   •  24 Août 2013  •  9 893 Mots (40 Pages)  •  882 Vues

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CRIMRE MAGISTRAL de PASCAL VREBOS

(Une sonnerie criarde, un carillonnement enrouée dans le silence.

Puis, la classe fourmille de bruits d’étudiants.

L’estrade est vide.

Enfin, lentement, entre le Professeur, petite soixantaine, habillé très classiquement, un vieux volumineux et lourd cartable dans une main, trois, quatre livres dans l’autre.

Il dépose cartable et livres sur le bureau, fait quelques pas de long en large.

Le brouhaha s’estompe par degrés.

Silence.

Le professeur fixe son auditoire.)

1

Où en étions-nous ?…

(Au début, le ton est fort professoral, voire légèrement pompeux.)

Ah, oui, Monsieur Cordier, exact, les hypothèses sur l’afflux d’anti-énergie sur l’antimatière… ah ! nous, scientifiques, nous sommes moins arrogants qu’il y a quelques décennies, moins sûrs de nous-mêmes, nous avançons humblement sur la route ô combien tortueuse d’un savoir sinueux sans cesse suspendu…

Nous ne descendons pas du singe, mais du songe — notez, notez, c’est joli, cet aphorisme que je viens d’inventer à l’instant ! vous pourrez le replacer, mais citez-moi, c’est ça le droit intellectuel ! l’éthique ! — nous descendons du songe, disais-je… je songe donc j’invente, puis, puis seulement, je tente de vérifier et j’essaie de ne pas tricher car je meurs d’envie d’avoir raison, mais scientifiquement…

(Il rit de manière très anonyme.)

Plus tard, si vous vous retrouvez coincés dans un noeud ou dans un trou noir, si les formules résistent, tenez bon, ne maquillez pas scientifiquement la vérité… enfin l’approche de la vérité…

Je m’aperçois que mes propos éthiques vous agacent Monsieur Cordier, si ! si ! ne niez pas l’évidence qui se dessine sur votre visage d’étudiant parfait, que les grands esprits puissent magouiller, fût-ce inconsciemment, choque votre idéalisme pur et dur, tant mieux…

Et Mademoiselle Van Welkenraede vous approuve… quoi ? quoi ?

Si moi, dans ma carrière académique, Mademoiselle Deru, j’ai « tripatouillé » mes expérimentations, mes tests ?…

Vous êtes franche, vous, Mademoiselle Deru, un peu trop, certains de mes honorables collègues s’en souviendraient à l’examen et vous colleraient sournoisement un sept ou un six pour une telle impertinence, mais j’aime la drôlerie, l’irrévérence… en particulier aujourd’hui…

(Il va s’asseoir, il semble déjà à bout de forces.)

Je prends mon temps.

Je réfléchis.

Je repasse le film de toute cette vie de recherches, d’échecs et de trouvailles…

Toutes ces heures de labo, seul avec vos cahiers, vos ordinateurs, vos accélérateurs de particules… (D’une voix forte). Eh bien non, je peux vous le proclamer fièrement : j’ai été d’une parfaite honnêteté intellectuelle, d’une rigueur sans cesse en éveil… c’est pour ça que je suis passé à côté du Nobel…

(Il rit)

… une fois, une fois, mais c’était une sorte de blague, j’ai fait croire à quelques collègues, fausses formules à l’appui, que j’avais découvert le graviton, cette particule de masse nulle de spin 2 que les chercheurs du monde entier traquent, venez voir, venez voir leur criais-je, exalté, je l’appelerai le Boulangeron… ah leur têtes à l’idée de voir mon nom passer dans l’Histoire… ils y ont cru ! Après ils m’en ont voulu et je ne suis jamais entré à l’Académie…

Je vois que Monsieur Cordier s’ennuie et qu’il est pressé que j’aborde les hypothèses sur l’afflux d’anti-énergie sur l’antimatière… elles sont belles, ces hypothèses car toutes plus problématiques les unes que les autres… enfin puisque c’est la matière…

(Il se tourne vers le tableau et trace des formules en silence)

d(P(r))=d+Ω/∑√(43≤)

d(P(n√x))=d+Ω:∑(√0,7865465(43≤)

d(P(4√t∏d))=d+Ω:∑(√∏d)+6,6262.10115-34X∞

Des questions ?

Tout est-il clair, limpide, lu-mi-neux ?

Ah ! si vous avez compris, c’est que vous avez sûrement tort ! Notez, méditez ce paradoxe… Première, deuxième, troisième, quatrième hypothèses… et la cinquième, elle est de moi, oh j’ai trouvé ça par hasard lors d’une partie de golf avec un industriel insipide, comme ça, après un coup de balle, pof ! j’ai pris mon carnet, j’y ai jeté la formule, mon partenaire m’a dit : « Vous faites vos comptes ? » « Non, lui ai-je répondu avec morgue, je travaille pour l’humanité ! » J’ai perdu la partie, mais j’ai gagné des tas de prix pour ce machin…

Oui… Monsieur Cordier, vous avez la parole…

C’est bien Cordier, vous irez loin… vous venez d’anéantir la première hypothèse, le vieux Cartwidge ne sera pas content… et la mienne, Monsieur Cordier, et la mienne, elle tient le coup dans votre esprit sans pitié ?…

Il n’ose pas ? Pensez vous, Mademoiselle Deru, la jouissance de l’étudiant surdoué est de tuer Le Maître, moi en l’occurrence, mais il n’y arrive pas encore, le Vieux reste encore plus fort, (Avec un soupir) plus pour longtemps…

Mais j’aimerais demander à Monsieur Jean-Alphonse d’Outrive ce qu’il pense de ces hypothèses… ah ! pas grand chose, je m’en doutais… mais oui, je connais votre rengaine, « je bloquerai à la dernière minute et je passerai au rasoir, je préfère batifoler, jouir de la vie, faire du dilettantisme un art de survivre… »

L’antimatière vous laisse de marbre, Monsieur Jean-Alphonse d’Outrive, et les afflux d’antiénergie, de bronze, Monsieur Jean-Alphonse d’Outrive !

Mais alors pourquoi ne pas avoir choisi le prêt-à-porter, les relations publiques et mondaines, la politique, la chansonnette, que sais-je ?…

Obligé ? Vous badinez !

Un grand beau fort gars comme vous ne peut-il pas dire non à sa maman

...

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