Petite histoire: Carambolage Amoureux

Carambolage amoureux

A tous les sceptiques qui pensent que cela ne mène à rien et n’a pas d’effet sur nous les femmes ....

La lumière délicieuse et reposante des lampadaires qui illuminaient sans scrupule la rue bondée de la Corniche de Casablanca caressait le visage joyeux de Nadia. La paisible soirée estivale semblait annoncer une nuit sans dangers et sans surprises, mais cela était sans compter les innombrables voitures dont les freins assourdissants brisaient la douce atmosphère qui enveloppait la longue rue.

Nadia le savait, c’est ici même qu’elle voudra rencontrer son futur époux dont les traits du visage se mélangeront aux effluves des beignets chauds et des chips mi crues-mi brulées, bouleversant alors tous ses sens. C’est pourquoi elle cherchait coûte que coûte sa moitié, son âme sœur, la pièce manquante au puzzle de sa vie parmi les visages qui se confondaient dans la rue. Il y avait tellement de monde que chacun se disputait discrètement quelques mètres carrés de libre pour marcher sans risquer de toucher le pan de la chemise d’untel ou le bout flottant d’une djellaba, risquant de provoquer un malaise voire un problème moral.

Nadia marchait silencieusement, essayant de prêter une oreille attentive à chaque klaxon qui lui était destiné. Elle n’était pas dupe et encore moins naïve mais sacrément exigeante. Le klaxon était tout un art que son futur mari se devait de maîtriser sous peine de ne pas convenir à l’un de ses critères fondamentaux. Bref mais retentissant, il devait réussir à battre son cœur et valoir la peine qu’elle se retourne telle l’égérie de la première campagne « Parce que je le vaux bien » de l’Oréal. Il ne devait pas être insistant et répétitif au risque d’être pris pour un klaxon destiné à plusieurs filles en même temps. Non, le klaxon devait lui être destiné à elle seule !

Perdue dans ses pensées sonores, Nadia ne remarqua pas la voiture noire qui frôlait avec confiance le bout du trottoir sur lequel elle se trouvait. Aucun klaxon ne fut émis mais dans un bruit très audible, le passager de devant semblait peiner à descendre manuellement la vitre de sa fenêtre. Et là, dans un souffle presque magique, alors qu’elle ne s’y attendait point malgré son coup d’œil furtif vers la voiture, Nadia entendit cette délicieuse voix qui transperça le mur du son pour venir se poser délicatement sur ses oreilles.

- Wa zine hbiba diali !!

Un célèbre auteur avait affirmé qu’il suffisait souvent de quelques mots pour bouleverser le cœur d’une femme et la toucher à jamais. Nadia n’en avait jamais pris conscience jusqu’à cette minute-là. ZINE ? HBIBA ? DIALI ? Elle crut rêver. Ce n’était pas possible ... ces mots, relevés de la grande littérature arabe, ne pouvaient lui être destinés. Elle se refusa immédiatement cette idée et nia l’emballement de son cœur. Mais celui-ci continua de battre à tout rompre. Et cette onomatopée « Wa » émise afin de l’interpeller lui donna des papillons dans le ventre. Tel l’aboiement d’un chien bien dressé, cette interjection ne laissait aucun de doute ... cet appel d’ange lui était destiné.

C’est alors qu’elle se retourna pleine d’espoir et d’amour dans ses yeux. Une si jolie ode – ou du moins peut-être que le début, l’intro, la mise en bouche – ne pouvait se perdre dans le silence impuissant de la rue. Son écrivain bourré de talent ne pouvait rester anonyme aux yeux de Nadia. Il méritait une place dans son cœur et son esprit ... il l’avait gagné. Trois mots vous me direz, certes, mais ils formaient à eux seuls un poème lyrique qui relatait l’amour qu’éprouvait l’émetteur.

Et là, alors qu’elle ne s’y attendait pas, le fameux klaxon vint enfin donner le rythme à ce doux hymne. S’en était trop. Trop à supporter pour le cœur fragile de Nadia.

La voiture noire se matérialisa immédiatement sous ses yeux, avec ses courbes et ses lumières. Elle l’a reconnue très vite... une Peugeot 106 aux vitres teintées.

...