Les réseaux Sociaux Les Origines De L'analyse Des réseaux Sociaux
Recherche de Documents : Les réseaux Sociaux Les Origines De L'analyse Des réseaux Sociaux. Recherche parmi 297 000+ dissertationsPar Odsene • 15 Novembre 2012 • 9 172 Mots (37 Pages) • 2 197 Vues
les réseaux sociaux
les origines de l’analyse
des réseaux sociaux
Pierre Mercklé, © CNED / ens-lsh 2003-2004
A. Les origines de la notion de réseau
La notion de « réseau » est tout le contraire d’un néologisme : le mot est ancien, et l’histoire de ses usages dans la langue
française, depuis son apparition au début du XVIIe siècle, est extrêmement instructive, dans la mesure où elle permet de
distinguer clairement les différents registres métaphoriques que la notion de réseau a hébergé et continue parfois de véhiculer1.
Chronologiquement, le premier de ces registres est celui de la métaphore textile. En français, les premières occurrences du mot,
sont relevées au XVIIe siècle. Le Thresor de la langue française de Nicot (1606) définit ainsi ce qu’on appelle alors un
« réseul » : « tisseure de fil faite à mailles, dont les filets, rets, poches, bourses et tirasses à prendre poissons, connils, cailles et
autres oyseaux sont faits ». Le terme, qui vient du latin retis, entrelacs de lignes, désigne donc un tissu, dont font usage les
chasseurs, mais aussi les femmes pour retenir leurs cheveux. Tandis que le latin retis donne le mot français « rets » et l’adjectif
« réticulaire », le français réseul, dès la fin du XVIIe siècle, devient « rézeau », puis « réseau », que la première édition du
Dictionnaire de l’Académie française (1694) définit comme un « ouvrage de fil ou de soye, fait par petites mailles en forme de
rets », qui peut donc désigner aussi bien les pièges des braconniers que les coiffes des dames (d’où la « résille »). Au XVIIe
siècle, le mot réseau, dans le langage des tisserands, s’est ensuite mis à désigner l’entrecroisement des fibres, d’une façon plus
générale qui fait retour à son étymologie latine.
Le XVIIIe siècle voit l’extension des usages de la notion de réseau du registre textile au registre médical, d’abord pour désigner
l’appareil sanguin, ensuite pour désigner aussi le système nerveux. Avec cette extension, à la métaphore explicite de
l’entrelacement et du contrôle s’ajoute celle, nouvelle et d’abord implicite, de la circulation dont le réseau est le support. Ce
registre métaphorique nouveau devient plus clairement explicite au XIXe siècle, avec l’usage de plus en plus répandu de la
notion de réseau pour désigner l’ensemble des chemins, des routes, puis des voies ferrées qui parcourent une région ou un pays.
Dans le même temps, c'est-à-dire à partir du milieu du XVIIIe siècle, la notion de réseau s’enrichit d’une signification
topographique, avec son application aux méthodes de triangulation de l’espace : ainsi, l’abbé La Caille désigne du terme de
1 Pour une étude plus détaillée des origines de la notion de réseau, voir notamment Bakis (1993), chapitre I : « Histoire de la
notion de réseau », pp. 9-23.
Les réseaux sociaux / origines Pierre Mercklé, © CNED / ENS-LSH 2003-2004 2
« réticule »2 ou « réseau » le dispositif consistant à découper l’espace en triangles équilatéraux adjacents, qui lui a permis de
dresser la carte du ciel austral dans les années 1750. Ainsi, depuis ses premières occurrences, la notion de réseau, à mesure
qu’elle s’enrichissait par extension et glissement de registres métaphoriques superposés, s’est progressivement abstraite des
objets concrets qu’elle servait primitivement à désigner, pour finalement désigner un certain nombre de propriétés générales
intimement entremêlées (c’est le cas de le dire…) : l’entrelacement, mais aussi le contrôle et la cohésion, la circulation, la
connaissance et la représentation topologiques.
Dans le langage courant, le recours à la notion de réseau, porteuse de ces registres métaphoriques spécifiques – l’entrelacement,
la circulation, la topologie –, pour désigner des ensembles d’individus et les relations qu’ils entretiennent les uns avec les
autres, est attesté à partir du milieu du XIXe siècle. Et il est possible de dater assez précisément le moment où les sciences
sociales s’en emparent, pour désigner ce qu’elles connaissaient jusque là sous le nom de structures, systèmes, cercles, groupe :
la notion de « réseau social » (social network) fait sa première apparition dans un article de l’anthropologue britannique John
A. Barnes (1954) (voir ci-dessous, I.C.3.1)… De ce fait, le parcours de l’histoire de l’analyse des réseaux sociaux, que nous
proposons de retracer ici rapidement, peut se décomposer en trois temps, selon un schéma bien connu des historiens de la
sociologie : le temps des précurseurs, le temps des pionniers, le temps des fondateurs. Le temps des précurseurs est celui au
cours duquel, sans recourir formellement à la notion de « réseau », la sociologie, en même temps qu’elle se constituait,
témoignait de préoccupations qui préfigurent celles qui seront ensuite au coeur de l’analyse des réseaux sociaux ; dans un
deuxième temps, les « pionniers » se distinguent des « précurseurs » en cela qu’ils recourent explicitement à la notion de réseau
– et en font le concept central de leur approche – pour désigner les formes sociales qu’ils prennent pour objet,
...