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Les genres de la presse féminine

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Par   •  16 Avril 2012  •  7 326 Mots (30 Pages)  •  1 694 Vues

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Les genres de la presse féminine

Éléments pour une sociologie politique de la presse féminine

ÉRIC DARRAS

Les définitions sociales de la femme sont non seulement évolutives, mais aussi diverses : Margaret Mead expliquait ainsi déjà que « les rôles assignés aux sexes varient selon la trame culturelle particulière qui détermine les relations humaines (…). Le garçon, aussi bien que la fille, se développe et mûrit selon des lois spécifiques et locales (…). La formation de la personnalité de chaque sexe (…) est le fait d’une société qui veille à ce que chaque génération, masculine ou féminine, se plie au type qu’elle a imposé » . En France aujourd’hui, la presse féminine participe avec et après d’autres institutions, dont l’école, l’église ou la famille, à la (re)définition de la femme féminine. Type particulier de bien culturel, la presse féminine véhicule, elle aussi, des représentations particulières des qualités, attributs ou espaces féminins : en tant que réservoir de signes identitaires, le corps féminin est notamment investi par les justifications de la domination masculine (notamment lorsque le corps féminin est présenté comme un objet du désir masculin), mais aussi par d’autres valeurs dominantes (individualisme, valorisation de l’argent, consommation ostentatoire, hédonisme…) qu’il s’agit de naturaliser par l’incorporation, l’inscription dans les corps des sujets . Mais cette presse peut avant tout renseigner sur les mécanismes par lesquels un groupe « tient », dans la mesure où la presse féminine compte parmi ceux qui, dans nos sociétés, rassemblent les « femmes » en les distinguant des « hommes » via la promotion de cette « identité féminine » . Les magazines féminins pourraient ainsi contribuer non seulement à entretenir un sentiment d’appartenance au groupe des « femmes », par opposition à l’Autre masculin, mais aussi à la redéfinition de l’identité féminine, autrement dit des caractéristiques ou tempéraments réputés féminins (sensibilité, séduction, maternité…) qui eux-mêmes agissent sur les pratiques et les représentations politiques plus ou moins spécifiques des lectrices. Sans sacrifier naïvement au postulat médiacratique de la toute-puissance de la presse, le magazine féminin peut être appréhendé à la fois comme un révélateur et comme un vecteur (parmi d’autres et dont l’influence reste difficilement mesurable) des dispositions féminines. Contre la fausse opposition académique de la production journalistique et de ses appropriations, il convient de souligner avec Patrick Champagne que « la réception d’un trait culturel est fonction de la relation qui s’établit entre la nature et la qualité des informations émises et les caractéristiques sociales des récepteurs (…) dans la mesure où il rencontre et renforce des “prédispositions” » .

Si la domination masculine fonctionne bien tel un modèle « paradigmatique » des autres formes de domination , elle ne devrait pas manquer d’intéresser la sociologie politique, mais la presse féminine souffre inévitablement dans l’université, en France, du discrédit attaché à ses lectures « légères », voire à ses publics « populaires ». Par ailleurs, ce genre de produit culturel compte parmi les objets mal traités pour au moins deux autres motifs. D’une part, et pour actualiser Durkheim, « le sentiment se met souvent de la partie » : la plupart des travaux disponibles empruntent délibéremment un point de vue normatif, celui des « féminismes » en particulier, même si ces études comptent souvent parmi les plus fécondes . D’autre part, l’essayisme d’universitaires, peu enclins à rencontrer tant les producteurs que les lecteurs, pour privilégier diverses formes d’analyses de contenu, tranche avec la profusion d’études commerciales disponibles sur l’audience (sondages, focus groups, observation, entretiens approfondis) de ce genre. Les uns méprisent les autres (et réciproquement), en toute méconnaissance, mais tous produisent, pour des raisons différentes, des résultats sociologiquement peu satisfaisants.

Mais qu’est-ce que la presse féminine ? La définition du « magazine féminin » demeure elle-même un enjeu de la compétition qui oppose et simultanément unit des entreprises inégalement puissantes et diversement intéressées à cette dénomination à géométrie variable. Aux deux extrêmes de ces opérations indigènes de classements, une conception extensive (défendue notamment par Samra-Martine Bonvoisin et Michèle Maignien, auteurs du Que-sais-je ? de référence, qui tablent sur 76 titres en France de presse féminine) permet par exemple de conclure à la toute-puissance économique du « secteur » . À l’inverse, une définition plus restrictive du magazine féminin, réduit au « généraliste » ou au « haut de gamme » (qui exclut notamment les magazines pour adolescentes ou ceux significativement désignés comme « people », dont Voici), peut viser une redéfinition optimale des « cibles » pour une meilleure efficacité en termes de marketing au profit d’un secteur d’activité économique particulier : en l’occurrence, celui des annonceurs de l’habillement et des produits cosmétiques.

Il est en fait possible d’esquiver les définitions dominantes de la presse féminine en privilégiant le taux de féminisation du lectorat de l’ensemble des magazines français, sans distinction a priori. Le retraitement statistique des données professionnelles disponibles sur l’audience de la presse magazine fait d’abord apparaître que les titres les plus lus par des femmes sont précisément ceux qui évoquent prioritairement l’univers domestique. Mais la catégorie « presse féminine » (dénomination plus commerciale que sociologique) rencontre vite ses limites : elle agrège des titres ou des publics en réalité très distincts et il faut voir la presse féminine de loin ou de haut pour la croire homogène . Même si l’on constate en effet des invariants, il n’existe pas tant « une » presse féminine que « des » presses féminines : deux genres s’opposent radicalement, la presse féminine dite « haut de gamme » et celle dite « populaire », qui renvoient à deux éthiques différentes .

LE DEHORS ET LE DEDANS

Une justification plus sociologique d’une approche globale de la presse « féminine » réside dans le fait qu’elle se présente explicitement comme étant rédigée par et pour des femmes. Dans un univers journalistique globalement masculin à 61 %, la presse féminine serait à l’inverse conçue par des femmes à hauteur de 80 %, la moitié des femmes journalistes travaillant dans

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