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La Rhétorique De l’image

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Par   •  11 Avril 2012  •  7 380 Mots (30 Pages)  •  1 999 Vues

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Roland Barthes, Rhétorique de l’image 1

Rhétorique de l'image

Roland Barthes

Selon une étymologie ancienne, le mot image devrait être rattaché à la racine de imitari. Nous

voici tout de suite au cœur du problème le plus important qui puisse se poser à la sémiologie des

images : la représentation analogique (la « copie ») peut-elle produire de véritables systèmes de

signes et non plus seulement de simples agglutinations de symboles ? Un « code » analogique - et

non plus digital - est-il concevable ? On sait que les linguistes renvoient hors du langage toute

communication par analogie, du « langage » des abeilles au « langage » par gestes, du moment que

ces communications ne sont pas doublement articulées, c'est-à-dire fondées en définitive sur une

combinatoire d'unités digitales, comme le sont les phonèmes. Les linguistes ne sont pas seuls à

suspecter la nature linguistique de l'image ; l'opinion commune elle aussi tient obscurément l'image

pour un lieu de résistance au sens, au nom d'une certaine idée mythique de la Vie : l'image est représentation, c'est-à-dire en définitive résurrection, et l'on sait que l'intelligible est réputé

antipathique au vécu. Ainsi, des deux côtés, l'analogie est sentie comme un sens pauvre : les uns

pensent que l'image est un système très rudimentaire par rapport à la langue, et les autres que la

signification ne peut épuiser la richesse ineffable de l'image. Or, même et surtout si l'image est d'une

certaine façon limite du sens, c'est à une véritable ontologie de la signification qu'elle permet de

revenir. Comment le sens vient-il à l'image ? Où le sens finit-il ? Et s'il finit, qu'y a-t-il au-delà ?

C'est la question que l'on voudrait poser ici, en soumettant l'image à une analyse spectrale des

messages qu'elle peut contenir. On se donnera au départ une facilité – considérable : on n'étudiera

que l'image publicitaire. Pourquoi ? Parce qu'en publicité, la signification de l'image est assurément

intentionnelle : ce sont certains attributs du produit qui fondent a priori les signifiés du message

publicitaire et ces signifiés doivent être transmis aussi clairement que possible ; si l'image contient

des signes, on est donc certain qu'en publicité ces signes sont pleins, formés en vue de la meilleure

lecture : l'image publicitaire est franche, ou du moins emphatique.

Les trois messages

Voici une publicité Panzani : des paquets de pâtes, une boîte, un sachet, des tomates, des oignons,

des poivrons, un champignon, le tout sortant d'un filet à demi ouvert, dans des teintes jaunes et

vertes sur fond rouge

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. Essayons d’« écrémer » les différents messages qu'elle peut contenir.

L'image livre tout de suite un premier message, dont la substance est linguistique ; les supports en

sont la légende, marginale, et les étiquettes, qui, elles, sont insérées dans le naturel de la scène,

comme « en abyme » ; le code dans lequel est prélevé ce message n'est autre que celui de la langue

française ; pour être déchiffré, ce message n'exige d'autre savoir que la connaissance de l'écriture et

du français. A vrai dire, ce message lui-même peut encore se décomposer, car le signe Panzani ne

livre pas seulement le nom de la firme, mais aussi, par son assonance, un signifié supplémentaire qui

est, si l'on veut, l’« italianité » ; le message linguistique est donc double (du moins dans cette

1

La description de la photographie est donnée ici avec prudence, car elle constitue déjà un méta-langage.Roland Barthes, Rhétorique de l’image 2

image) : de dénotation et de connotation ; toutefois, comme il n'y a ici qu'un seul signe typique

2

, à

savoir celui du langage articulé (écrit), on ne comptera qu'un seul message.

Le message linguistique mis de côté, il reste l'image pure (même si les étiquettes en font partie à

titre anecdotique). Cette image livre aussitôt une série de signes discontinus. Voici d'abord (cet ordre

est indifférent, car ces signes ne sont pas linéaires) l'idée qu'il s'agit, dans la scène représentée, d'un

retour du marché ; ce signifié implique lui-même deux valeurs euphoriques : celle de la fraîcheur des

produits et celle de la préparation purement ménagère à laquelle ils sont destinés ; son signifiant est

le filet entrouvert qui laisse s'épandre les provisions sur la table, comme « au déballé ». Pour lire ce

premier signe, il suffit d'un savoir en quelque sorte implanté dans les usages d'une civilisation très

large, où « faire soi-même son marché » s'oppose à l'approvisionnement expéditif (conserves,

frigidaires)

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