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L'exigence De sécurité Juridique

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Par   •  18 Février 2015  •  7 084 Mots (29 Pages)  •  1 490 Vues

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Recueil Dalloz 2002, Chroniques p. 2814

L'exigence de sécurité juridique

par Antoine Cristau Maître de conférences à la Faculté de droit de Caen et à l'IEP de Paris

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1 - Au lendemain de la codification napoléonienne, « la France se sentit solide dans son armature juridique. Son droit était fixé et unifié. Ses lois civiles assuraient la liberté... Elles donnaient la sécurité en permettant par leur permanence de prévoir l'avenir... » (1). Rompant avec l'arbitraire de l'Ancien Régime et l'équité des parlements, le XIXe siècle a consacré le règne de la loi. Toutefois, ce nouvel ordre juridique a montré qu'il pouvait conduire à certains excès : Summum jus, summa injuria.

2 - C'est pourquoi le XXe siècle a cherché, par divers procédés (2), à corriger la rigueur de la règle. Ainsi, le juge a-t-il vu son pouvoir d'appréciation augmenté de façon considérable. La suppression des minima applicables aux peines en matière pénale est un exemple significatif. Cette réforme permet au juge d'introduire une plus grande part d'équité dans ses décisions. Mais cette évolution peut conduire à une certaine insécurité juridique et à la renaissance du grief dont faisaient l'objet les magistrats de l'Ancien Régime.

3 - En ce début du XXIe siècle, « le sentiment d'insécurité que peut éprouver le citoyen » s'explique également par « l'accumulation des textes » (3), comme l'a dénoncé le Conseil d'Etat dans son Rapport de 1991, De la sécurité juridique. A ce phénomène d'inflation normative, il faut ajouter la critique tirée de la complexité croissante des textes. La loi a tendance à perdre son caractère général, abstrait et impersonnel. « Les lois modernes sont souvent très spéciales, si bien qu'elles ne s'adressent qu'à une catégorie à la fois, à une profession, à une tranche de revenus... » (4).

4 - Toutes ces raisons expliquent que l'argument tiré de la violation de la sécurité juridique est régulièrement soulevé devant le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d'Etat. Assurément, la notion est dans l'air du temps et l'intérêt qu'elle suscite peut s'expliquer par son caractère omniprésent. La doctrine s'est emparée de ce thème et la question de sa nature est source d'interrogations. Alors que les justiciables invoquent une violation du « principe de sécurité juridique », la jurisprudence constitutionnelle, administrative et civile - à l'exception d'un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation (5) - refuse de consacrer formellement l'existence d'un tel principe.

5 - Cette résistance ne serait pas justifiée et de nombreux auteurs plaident en faveur de sa reconnaissance (6). Cette position peut être contestée et l'objet de cette chronique consiste à démontrer que la sécurité juridique ne saurait s'apparenter à un principe général du droit mais qu'elle constitue une exigence fondamentale de notre droit, selon une expression issue du droit communautaire (7) (I), de nature constitutionnelle (II).

I - La sécurité juridique : une exigence fondamentale

6 - En droit interne, la sécurité juridique ne saurait correspondre à un principe général du droit mais à une exigence fondamentale (A). Cette caractéristique pose alors le problème de sa compatibilité avec le droit communautaire (B).

A - De l'impossibilité d'ériger la sécurité juridique en principe général du droit

7 - Conférer à la sécurité juridique la valeur d'un principe général du droit serait source d'insécurité juridique. Deux raisons, étroitement liées, militent en faveur d'une telle affirmation. D'une part, la sécurité juridique est une notion polymorphe, particulièrement difficile à cerner avec précision. D'autre part, un principe général du droit est source de droit subjectif et une telle prérogative semble difficilement admissible au regard de la définition incertaine de la sécurité juridique.

8 - Il est a priori plus facile de comprendre la notion que de la définir. Comme le constate fort justement le Doyen Carbonnier, la sécurité juridique « c'est le besoin juridique élémentaire et, si l'on ose dire, animal » (8). Il est vrai que l'expression est tautologique car, au fond, qu'est-ce que le droit si ce n'est une forme de sécurité ? Ce besoin juridique élémentaire implique alors « une garantie ou une protection tendant à exclure, du champ juridique, le risque d'incertitude ou de changement brutal, dans l'application du droit » (9).

9 - Plus précisément, la notion recouvre des exigences d'ordre matériel et temporel. Les exigences matérielles ont trait à la qualité de la loi, c'est-à-dire à sa clarté, son accessibilité et donc son efficacité. Quant aux exigences temporelles, elles sont relatives à la prévisibilité de la loi ou plus généralement à la stabilité de l'environnement juridique ce qui implique, notamment, une protection contre la rétroactivité (de la loi et des actes administratifs), une protection des droits acquis, la stabilité des relations contractuelles, l'assurance d'une consolidation des situations juridiques individuelles par le jeu de la prescription.

10 - « La sécurité, c'est en somme tout à la fois : savoir et prévoir » (10). La définition est excessivement large et ses contours sont fuyants en raison de son caractère hétérogène. Ce concept à géométrie variable soulève alors une multitude d'interrogations quant aux atteintes qui pourraient y être portées. S'agissant de la loi, par exemple, la sécurité juridique implique-t-elle une garantie relative à la stabilité des normes ou plus simplement la garantie que ces normes ne seront modifiées que suivant des règles explicitement prévues ? A l'évidence, l'exigence de sécurité juridique ne saurait se confondre avec la fixité des normes. La modification de l'état du droit positif répond en principe à une exigence de sécurité.

11 - De façon plus délicate, alors que la loi n'est pas en principe rétroactive, en application de l'art. 2 c. civ., la Cour de cassation applique à ses revirements de jurisprudence un caractère rétroactif (11).

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