Le père Antoine

Lors de l'invasion prussienne, le père Antoine, surnommé "Saint-Antoine", un vieux paysan du pays de Caux, grand, fort et fanfaron, s'était vanté de manger du Prussien.

Or, pendant l'hiver de 1870, il fut obligé d'héberger et de nourrir un soldat ennemi. Le sien était un gros garçon blond, doux et niais, qui ne parlait pas français.

En guise de farce, Saint-Antoine l'appela "mon cochon" et entreprit de l'engraisser; il se vengeait ainsi de l'humiliation de la défaite. Il emmenait partout son cochon de Prussien pour qu'on le fît manger, qu'on le fît boire et qu'on se moquât de lui.

Un soir qu'il neigeait, après une beuverie, le Prussien se fâcha. Les deux hommes ivres se batirent sur la route. Saint-Antoine frappa violemment l'homme à la tempe, le crut mort et l'ensevelit dans sa fosse à fumier, désemparé.

Dans la nuit, Saint-Antoine fut alerté par les hurlements de son chien : le soldat, ranimé, était assis sur le tas de fumier, encore étourdi. Le vieux paysan, furieux, le tua à coups de fourche et l'enterra de nouveau, plus profondément.

Au matin, Saint-Antoine courut le pays, feignant de chercher son Prussien. Il ne fut pas inquiété et on fusilla à sa place un vieux gendarme.

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