Le joueur d'échecs de Stefan Zweig
Fiche : Le joueur d'échecs de Stefan Zweig. Recherche parmi 298 000+ dissertationsPar Blaykes • 23 Mai 2013 • Fiche • 517 Mots (3 Pages) • 1 004 Vues
Le joueur d'échecs de Stefan Zweig – extrait 2 : la solitude de M.B.
Une chambre particulière dans un hôtel – peut-on rêver traitement plus humain, n’est-ce pas ? Et
pourtant, croyez-moi, c’était pour nous appliquer une méthode plus raffinée, mais non pas plus
humaine, qu’on nous logeait en “personnalités importantes” dans des chambres d’hôtel particulières
et convenablement chauffées, plutôt que dans des baraques glacées et avec vingt personnes. Car la
pression qu’on voulait exercer sur nous pour nous arracher les renseignements recherchés était
d’une espèce plus subtile que celle des coups de bâton et des tortures corporelles : c’était
l’isolement le plus raffiné qui se puisse imaginer. On ne nous faisait rien – on nous laissait
seulement en face du néant, car il est notoire qu’aucune chose au monde n’oppresse davantage
l’âme humaine. En créant autour de chacun de nous un vide complet, en nous confinant dans une
chambre hermétiquement fermée au monde extérieur, on usait d’un moyen de pression qui devait
nous desserrer les lèvres, de l’intérieur, plus sûrement que les coups et le froid. Au premier abord, la
chambre qu’on m’assigna n’avait rien d’inconfortable. Elle possédait une porte, un lit, 56une
chaise, une cuvette, une fenêtre grillagée. Mais la porte demeurait verrouillée nuit et jour, il m’était
interdit d’avoir un livre, un journal, du papier ou un crayon. Et la fenêtre s’ouvrait sur un mur
coupe-feu. Autour de moi, c’était le néant, j’y étais tout entier plongé. On m’avait pris ma montre,
afin que je ne mesure plus le temps, mon crayon, afin que je ne puisse plus écrire, mon couteau, afin
que je ne m’ouvre pas les veines ; on me refusa même la légère griserie d’une cigarette. Je ne voyais
jamais aucune figure humaine, sauf celle du gardien, qui avait ordre de ne pas m’adresser la parole
et de ne répondre à aucune question. Je n’entendais jamais une voix humaine. Jour et nuit, les yeux,
les oreilles, tous les sens ne trouvaient pas le moindre aliment, on restait seul, désespérément seul
en face de soi- même, avec son corps et quatre ou cinq objets muets : la table, le lit, la fenêtre, la
cuvette. On vivait comme le plongeur sous sa cloche de verre, dans ce noir océan de silence, mais
un plongeur qui pressent déjà que la corde qui le reliait au monde s’est rompue et qu’on ne le
remontera jamais de ces profondeurs muettes. On n’avait rien à faire, rien à entendre, rien à voir,
autour
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