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Peinture- propos recueillis par Dominique Simonnet - La couleur bleue : Michel Pastoureau

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Par   •  12 Février 2014  •  Analyse sectorielle  •  4 834 Mots (20 Pages)  •  909 Vues

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Peinture

propos recueillis par Dominique Simonnet

La couleur bleue

Michel Pastoureau

1. Le bleu : la couleur qui ne fait pas de vagues

A force de les avoir sous les yeux, on finit par ne plus les voir. En somme, on ne les prend pas au sérieux. Erreur! les couleurs sont tout sauf anodines. Elles véhiculent des sens cachés, des codes, des tabous, des préjugés auxquels nous obéissons sans le savoir et qui pèsent sur nos modes, notre environnement, notre vie quotidienne, nos comportements, notre langage et même notre imaginaire. Les couleurs ne sont ni immuables ni universelles. Elles ont une histoire, mouvementée, qui remonte à la nuit des temps. C'est cette étonnante aventure que nous allons conter, au fil de l'été, avec l'historien anthropologue Michel Pastoureau, spécialiste mondial de cette question (lire absolument son passionnant Bleu, histoire d'une couleur, au Seuil, et Les Couleurs de notre temps, Bonneton). A chaque semaine, sa couleur. Et d'abord le bleu, la préférée des Occidentaux. Une chose, déjà, est sure: avec un guide affable et érudit comme Michel Pastoureau, on verra le monde autrement!

Les historiens ont toujours dédaigné les couleurs, comme si elles n'avaient pas d'histoire, comme si elles avaient toujours été là. Toute votre oeuvre montre le contraire.

Lorsque, il y a vingt-cinq ans, j'ai commencé à travailler sur ce sujet, mes collègues ont été, c'est vrai, intrigués. Jusque-là, les historiens, y compris ceux de l'art, ne s'intéressaient pas vraiment aux couleurs. Pourquoi une telle lacune? Probablement parce qu'il n'est pas facile de les étudier! D'abord, nous les voyons telles que le temps les a transformées et non dans leur état d'origine, avec des conditions d'éclairage très différentes: la lumière électrique ne rend pas par exemple les clairs-obscurs d'un tableau, que révélaient autrefois la bougie ou la lampe à huile. Ensuite, nos ancêtres avaient d'autres conceptions et d'autres visions des couleurs que les nôtres. Ce n'est pas notre appareil sensoriel qui a changé, mais notre perception de la réalité, qui met en jeu nos connaissances, notre vocabulaire, notre imagination, et même nos sentiments, toutes choses qui ont évolué au fil du temps.

Lorsque, il y a vingt-cinq ans, j'ai commencé à travailler sur ce sujet, mes collègues ont été, c'est vrai, intrigués. Jusque-là, les historiens, y compris ceux de l'art, ne s'intéressaient pas vraiment aux couleurs. Pourquoi une telle lacune. Probablement parce qu'il n'est pas facile de les étudier! D'abord, nous les voyons telles que le temps les a transformées et non dans leur état d'origine, avec des conditions d'éclairage très différentes: la lumière électrique ne rend pas par exemple les clairs-obscurs d'un tableau, que révélaient autrefois la bougie ou la lampe à huile. Ensuite, nos ancêtres avaient d'autres conceptions et d'autres visions des couleurs que les nôtres. Ce n'est pas notre appareil sensoriel qui a changé, mais notre perception de la réalité, qui met en jeu nos connaissances, notre vocabulaire, notre imagination, et même nos sentiments, toutes choses qui ont évolué au fil du temps.

Il nous faut donc admettre cette évidence: les couleurs ont une histoire. Commençons donc cette semaine par la préférence des Occidentaux, le bleu.

Depuis que l'on dispose d'enquêtes d'opinion, depuis 1890 environ, le bleu est en effet placé au premier rang partout en Occident, en France comme en Sicile, aux États-Unis comme en Nouvelle-Zélande, par les hommes comme par les femmes, quel que soit leur milieu social et professionnel.

C'est toute la civilisation occidentale qui donne la primauté au bleu, ce qui est différent dans les autres cultures: les Japonais, par exemple, plébiscitent le rouge. Pourtant, cela n'a pas toujours été le cas. Longtemps, le bleu a été mal aimé. Il n'est présent ni dans les grottes paléolithiques ni au néolithique, lorsque apparaissent les premières techniques de teinture. Dans l'Antiquité, il n'est pas vraiment considéré comme une couleur; seuls le blanc, le rouge et le noir ont ce statut. A l'exception de l'Égypte pharaonique, où il est censé porter bonheur dans l'au-delà, d'où ces magnifiques objets bleu-vert, fabriqués selon une recette à base de cuivre qui s'est perdue par la suite, le bleu est même l'objet d'un véritable désintérêt.

Il est pourtant omniprésent dans la nature, et particulièrement en Méditerranée.

Oui, mais la couleur bleue est difficile à fabriquer et à maîtriser, et c'est sans doute la raison pour laquelle elle n'a pas joué de rôle dans la vie sociale, religieuse ou symbolique de l'époque. A Rome, c'est la couleur des barbares, de l'étranger (les peuples du Nord, comme les Germains, aiment le bleu). De nombreux témoignages l'affirment: avoir les yeux bleus pour une femme, c'est un signe de mauvaise vie. Pour les hommes, une marque de ridicule. On retrouve cet état d'esprit dans le vocabulaire: en latin classique, le lexique des bleus est instable, imprécis. Lorsque les langues romanes ont forgé leur vocabulaire des couleurs, elles ont dû aller chercher ailleurs, dans les mots germanique (blau) et arabe (azraq). Chez les Grecs aussi, on relève des confusions de vocabulaire entre le bleu, le gris et le vert. L'absence du bleu dans les textes anciens a d'ailleurs tellement intrigué que certains philologues du XIXe si�cle ont cru sérieusement que les yeux des Grecs ne pouvaient le voir!

Pas de bleu dans la Bible non plus?

Les textes bibliques anciens en hébreu, en araméen et en grec utilisent peu de mots pour les couleurs: ce seront les traductions en latin puis en langue moderne qui les ajouteront. Là où l'hébreu dit « riche », le latin traduira « rouge ». Pour « sale », il dira « gris » ou « noir »; « éclatant » deviendra « pourpre ». Mais, à l'exception du saphir, pierre préférée des peuples de la Bible, il y a peu de place pour le bleu. Cette situation perdure au haut Moyen Age: les couleurs liturgiques, par exemple, qui se forment à l'ère carolingienne, l'ignorent (elles se constituent autour du blanc, du rouge, du noir et du vert). Ce qui laisse des traces encore aujourd'hui: le bleu est toujours absent du culte catholique... Et puis,

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