Virgile, Les Géorgiques, chant IV, vers 1 à 102 Commentaire

Virgile, Les Géorgiques, chant IV, vers 1 à 102 Commentaire

Axe I – Une épopée en miniature

Argument n°1 – Les caractéristiques du style épique : grandiloquence, amplifications...

 La scène racontée est rapide, les événements s’enchaînent en quelques vers.

 Les personnages ne sont pas individualisés, mais il s’agit d’un héros collectif... : les abeilles « se

rassemblent », sont « confondues en un rond immense » magnum glomerantur in orbem, « se mêlent », elles forment « une foule »...

o Le texte latin recourt au passif impersonnel concurritur, « on en vient aux mains, le combat commence », typique des récits de batailles.

 Les sentiments sont grandioses : il est question « d’ardeur belliqueuse », de « cœurs », de « grand courage », d’ardents courages », de « terribles combats »...

 Le texte insiste sur les bruits, le fracas : « éclat martial », « voix », « accents saccadés des trompettes », « font palpiter leurs ailes », « grands cris », « retentit leur fracas »

 On trouve des comparaisons typiques des épopées : les abeilles sont ainsi assimilées à la grêle qui tombe – non densior aere grando / pluit - ou aux glands d’un chêne – nec de consussa tantum pluit ilice glandis - pour insister sur leur nombre.

o Ces comparaisons sont assez cohérentes : les abeilles peuvent, en effet, être assimilées à de petits corps ronds et arrondis, comme le sont des grêlons ou des glands...

Argument n°2 – La métaphore guerrière des troupes au combat : les préliminaires du combat, le combat en lui-même.

 Les abeilles sont assimilées à deux troupes combattantes : elles obéissent à des généraux,

possèdent un camp avec son prétoire et ses portes, se rassemblent au son des trompettes...

o On notera aussi le choix de la saison, le printemps – ubi ver nactae sudum : c’est en effet au printemps que, dans le « monde des hommes », les campagnes militaires reprenaient.

 Les abeilles commencent par aiguiser leurs armes (ici, leurs dards), font du bruit à la manière des soldats qui frappaient leur bouclier de leur glaive (ici, leurs ailes), provoquent l’ennemi par des cris, adoptent une formation de combat (ici, un cercle), se lancent à l’assaut de l’ennemi jusqu’à

ce qu’il cède et s’enfuie...

 Le vocabulaire utilisé relève souvent du champ lexical de l’armée : portae, acies, cedere, fuga,

victor, certamina...

Argument n°3 – La métaphore guerrière des chefs : l’héroïsation des deux rois.

 Par un type de recentrement typique là encore des épopées, le récit se focalise dans un deuxième temps sur les deux chefs – le pronom ipsi les individualise et les détache de la masse des combattantes. Le lecteur latin retrouve un motif connu, celui du général qui combat au

milieu de ses hommes – per medias acies.

 Les deux rois sont donc présentés comme deux héros d’épopée : leurs troupes se rassemblent

autour d’eux, ils portent de grandes ailes qui se voient de loin – insignibus alis, semblables à des étendards ou au manteau pourpre des généraux, ils haranguent les soldats pour qu’ils ne faiblissent pas.

 Eux-mêmes font preuve d’un très grand courage – ingentes animos versant - et d’une vraie ténacité – obnixi non cedere - qui les distinguent des autres combattants, et s’ils ne s’affrontent pas directement en duel, ils s’efforcent de vaincre leur adversaire direct – usque adeo dum gravis aut hos / aut hos versa fuga victor dare terga subegit.

Transition

Il apparaît évident que tout ce passage du chant IV repose sur un phénomène d’anthropomorphisation des abeilles, assimilées ici à deux camps s’affrontant dans une guerre civile

fratricide. Le contexte d’écriture des Géorgiques, œuvre de commande de Mécène ami et conseiller d’Auguste, a pu orienter la lecture de ce passage comme une allégorie des guerres civiles qui viennent de s’achever.

Axe II – Une fable politique et morale ?

Argument n°1 – Une métaphore des guerres civiles ayant opposé Octave à Antoine : lecture classique de l’épisode.

 La bataille d’Actium le 2 septembre 31 av. J.-C., remportée par les troupes d’Octave sur celles

d’Antoine et Cléopâtre, met un terme aux guerres civiles ouvertes par l’assassinat de Jules César aux Ides de mars 44 av. J.-C. Octave, héritier politique de ce dernier, recueille désormais sous son seul pouvoir Rome, épuisé par trois guerres civiles successives, et une grande partie du monde connu. C’est un temps d’espoir et de paix : les portes du temple de Janus sont officiellement fermées en 29 av. J.-C.

 C’est dans ce contexte que Virgile compose son deuxième grand poème, les Géorgiques, dont on pense qu’elles furent diffusées à partir de 29 av. J.-C. précisément.

o Virgile appartient au cercle de Mécène (auquel les Géorgiques sont adressées), tout comme les poètes Horace, Properce, Ovide et Tibulle. Tous participent de près ou de loin à l’effort idéologique lancé par Octave : après le long et douloureux épisode de la guerre civile, Rome aspire au calme, à l’ordre et à la reconstruction.

o Virgile chante donc ici l’âge d’or passé de la Rome rurale, l’espoir d’un renouveau, le goût d’une vie simple et paisible, le retour au travail de la terre, après les fureurs de la guerre.

 Ces conditions de production des Géorgiques ont très logiquement orienté la lecture du passage que nous avons travaillé comme une métaphore de la guerre qui vient de s’achever : au sein d’une même ruche (d’une même nation), deux groupes s’affrontent (les Romains) menés par deux chefs aux qualités opposées (Octave et Antoine), le meilleur des deux rois (Octave) l’emportant sur le moins bon des deux (Antoine).

Argument n°2 – Le portrait moral des deux rois : le bon roi représenté comme un guerrier ardent ; le mauvais roi représenté comme un personnage grotesque et à la morale douteuse.  Un autre élément a orienté cette

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