Invitation à la sociologie : une forme de conscience

Invitation à la sociologie

P. Berger

Chapitre 2

Une forme de conscience

Dire comme le fait P. Berger dans ce texte que la sociologie repose sur une forme de conscience particulièrement moderne, c’est rappeler que le point de vue sociologique n’a pas toujours existé et qu’il a fallu des circonstances socio-historiques particulières pour qu’un tel mode de pensée émerge. Le philosophe G. Gurvitch disait de la sociologie qu’elle était fille des révolutions et P. Berger ne dit pas autre chose lorsqu’il indique que c’est dans les débuts de l’ère moderne en Occident que cette forme de conscience qu’est la sociologie a émergé.

Pour comprendre la spécificité de ce point de vue et de cette forme de conscience, il est nécessaire de s’interroger tout d’abord sur l’objet qui est classiquement assigné à la discipline sociologique, à savoir la société.

Terme société : le sens que revêt ce terme en sociologie s’écarte du sens commun qui renvoie soit à une association comme « la société protectrice des animaux », soit à un groupe spécifique comme la « haute société, soit encore à l’état de compagnie : être en société. Pour le sociologue, le terme société désigne un ensemble de relations humaines, ou plus techniquement, renvoie à un système d’interactions. La taille de cet ensemble peut varier selon que l’on parle d’un groupe social, d’une société comme, par exemple, la société chinoise, ou d’une classe d’étudiants.

Terme social : Dans la terminologie à laquelle recourt la sociologie, il est aussi fait usage du terme social. Là encore, il faut distinguer le sens commun (une réunion, une politique etc.) du sens sociologique qui renvoie, selon la définition de M. Weber, à une situation où les individus orientent leur action les uns envers les autres, le matériau de l’analyse sociologique étant constitué par le réseau de significations, d’attentes et de comportements qui résulte de cette orientation mutuelle (citation de P. Berger).

Il est aussi nécessaire, toujours pour comprendre la spécificité de cette forme de conscience, d’examiner le cadre de référence qui lui sert de socle. C’est un cadre spécifique qui se distingue des cadres de référence mobilisés par d’autres disciplines comme par exemple la science économique ou la science juridique.  Il faut aussi analyser la démarche qui est la sienne. Le point de vue sociologique, dit P. Berger, s’efforce toujours de ressaisir différents niveaux de signification : certains sont du domaine de l’implicite, de l’informel, du latent et d’autres sont du domaine de l’explicite, du formel, du manifeste.

Par exemple, P. Berger montre que le sociologue ne peut pas comprendre les relations de pouvoir au sein d’une ville s’il s’en tient à la structure formelle des relations sociales, structures qu’il peut analyser à travers, les organigrammes, les règlements officiels etc. Il existe une organisation effective des pouvoirs qui peut être d’ailleurs de type mafieux et c’est à cette organisation qu’il va s’intéresser.

Autre exemple encore plus illustratif peut-être : les relations amoureuses. On peut analyser le choix des conjoints en s’intéressant à l’appartenance de classe, aux revenus, au niveau d’éducation qui peuvent jouer un rôle déterminant. D’où le titre choisi par P. Berger : l’amour n’est pas aveugle.

À travers ces exemples, P. Berger montre le sociologue ne peut s’en remettre à un point de vue spontané mais doit dégager les différents niveaux de signification qui se rattachent à l’objet étudié. La démarche dans laquelle il s’engage pour comprendre (M. Weber) les phénomènes sociaux est une démarche de type analytique et aussi critique. Le sociologue, dit-il, doit, selon l’expression de Nietzsche, manier l’art du soupçon et être capable de « voir au-delà des apparences » des structures sociales. L’exemple retenu par P. Berger des façades d’immeubles qui dissimulent la vie des hommes est parlant. Le sociologue a beau les contempler, sa curiosité sociologique le pousse voir au-delà.

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