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Art et Morale

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Par   •  24 Septembre 2018  •  Cours  •  2 767 Mots (12 Pages)  •  1 225 Vues

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GIDE affirme : « on ne fait pas forcément de la bonne littérature avec de bons sentiments. »

Baudelaire : « je ne conçois guère un type de beauté où il n’y ait pas de malheur. »

Pb : toute considération morale doit-elle être exclue de nos considérations sur l’art ? Ethique et esthétique s’excluent-elles ?

  1. Platon et la condamnation de l’art

La réflexion philosophique sur l’art débute avec une critique radicale de l’art en général et de la poésie en particulier qui conduit le philosophe à exclure l’artiste de la cité.

Tout d’abord, rappelons la définition de la poésie qui désigne toute forme de production d’un objet artificiel par distinction avec les choses de la nature. La « poiésis » englobe alors la fabrication technique tout autant que la création  d’une œuvre (théâtre, peinture, sculpture).

La philosophie, quant à elle, se veut recherche de la vérité par le moyen de l’intellect qui produit des concepts.

Or, si toute pensée véritable se situe dans le monde des Idées, de l’intelligible, alors l’œuvre d’art, sensible en ce qu’elle se donne à voir, à entendre, à toucher… est en dehors de son champ.  Platon va ainsi dévaluer l’art qui ne serait pas un ajout au réel, « du plus » mais « du moins », de l’illusion.

Les principaux axes de la dévaluation platonicienne :

  • L’artiste produit une image  doublement inadéquate à la fois à l’être (Idée de la chose représentée) et à l’étant (la chose représentée). L’imitation artistique ne repose sur aucune connaissance. Les poètes et les peintres n’ont « ni science ni opinion droite » (602a). Ils sont ignorants. Un peintre se présente que l’aspect extérieur de l’objet, non son essence = simple effet de miroir.

Les 3 degrés de production à partir de l’exemple du lit :

  • Le dieu qui « laisse surgir la nature ». Il laisse s’épanouir l’Idée (« eidos ») qui est éternelle et immuable = définition du lit, propriétés essentielles invariables ;
  • L’artisan menuisier produit un lit singulier conforme à cette Forme (« eidos ») ;
  • Le peintre ne représente que la surface, l’apparence du lit. Il n’est qu’un ouvrier de l’image.

[pic 1]

  • En outre, l’art, plus spécifiquement la poésie tragique, est accusé du plus « grave des méfaits » : en s’adressant à la partie non raisonnable de notre âme, aux passions, elle nous éloigne de la moralité : « elle les nourrit en les arrosant, alors que nous devrions les dessécher, elle les fait régner sur nous alors que nous devrions régner sur elles » (606c…). L’art exerce une action sur les parties irrationnelles de l’âme (les désirs) en suscitant colère, joie, chagrin …).
  • Enfin, la poésie épique[1] bafoue les règles morales, notamment dans l'évocation de théomachies, guerres et querelles entre les dieux. D'où les règles suivantes :

 - la divinité est bonne et ne peut jamais dispenser le mal (vs Iliade XXIV, 527-529, ou IV, 64-104, ou encore II, début) ;

- les dieux ne peuvent ni changer de forme, ni nous tromper.

Homère est réfuté car il montre des choses incompatibles avec la notion même de dieu et parce qu’il a une mauvaise influence morale :

 - en témoignent les descriptions effrayantes de l'Hadès, la plus fameuse étant celle de l'Odyssée, XI ;

 - les dieux tels que les décrit Homère ne sauraient constituer des modèles pour les hommes car ils sont sujets à l'émotion et à la pitié envers leurs enfants (cf. par exemple les lamentations de Thétis, Iliade, XVIII, 54) ;

 - les manifestations du rire sont indignes des dieux, (cf. notamment Iliade, I, fin).

  • Conséquence : le poète est inutile car incapable d’enrichir nos connaissances et il est dangereux car il a une mauvaise influence morale sur les jeunes gens. Pour toutes ces raisons, il est chassé de la cité idéale. La philosophie doit remplacer la poésie (leur rivalité est ancienne comme le rappelle Platon). Ceux qui néanmoins la défendent auront le droit de le faire en prose s’ils sont capables de montrer qu’elle peut produire davantage que de « l’agréable » c.à.d. qu’elle peut être « utile au gouvernement des Etats et à la vie humaine » (607d…). La poésie doit donc « se justifier ».

  • Conclusion : une telle philosophie soulève des pbs que la tradition ne manquera pas de relever :
  • Pb de la liberté dans la création : assigner à l’art une fonction d’Etat, n’est-ce pas prendre le risque de l’aliéner en le soumettant à une idéologie politique qui ôterait toute liberté à l’artiste, toute créativité ?
  • Pb de la censure : l’art doit-il être édifiant ? La morale peut-elle légiférer sur l’art ?
  • Pb sur l’idée même du beau : ce qui est beau est-il nécessairement moralement bon ?
  1. Réhabilitation de l’art par les fonctions mimétiques et cathartiques (Aristote)

 « L'art poétique dans son ensemble paraît devoir sa naissance à deux causes, toutes deux naturelles. Dès l'enfance, les hommes ont, inscrites dans leur nature, à la fois une tendance à imiter (et l'homme se différencie des autres animaux parce qu'il est particulièrement enclin à imiter et qu'il a recours à l'imitation dans ses premiers apprentissages), et une tendance à éprouver du plaisir aux imitations. Nous en avons une preuve dans l'expérience pratique: nous avons plaisir à contempler les images les plus précises des choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, par exemple les formes d'animaux parfaitement ignobles ou de cadavres; la raison en est qu'apprendre est un plaisir non seulement pour les philosophes, mais également pour les autres hommes (mais ce qu'il y a de commun entre eux sur ce point se limite à peu de chose); en effet si l'on aime à voir des images, c'est qu'en les regardant on apprend à connaître et on conclut ce qu'est chaque chose comme lorsqu'on dit : celui-là, c'est lui. Car si on n'a pas vu auparavant, ce n'est pas l'imitation qui procurera le plaisir, mais il viendra du fini dans l'exécution, de la couleur, ou d'une autre cause de ce genre. Puisque nous avons une tendance naturelle à l'imitation, à la mélodie et au rythme (car il est évident que les mètres font partie des rythmes), ceux qui au départ avaient les meilleurs dispositions naturelles à cet égard firent peu à peu des progrès et donnèrent naissance à la poésie à partir de leurs improvisations. Puis la poésie se divisa selon le caractère de chacun: les auteurs graves imitaient des actions de qualité accomplies par des hommes de qualités, les auteurs plus légers celles d'hommes bas, en composant d'abord des blâmes, comme les autres composaient des hymnes et des éloges. »

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